Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/132

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Le 4 novembre 1817 vit la nouvelle réunion de cette Chambre où, affaiblis par tant de pertes, les ultras allaient cependant continuer le combat. Leur rage impuissante eut une première occasion de s’exercer : le maréchal Gouvion Saint-Cyr avait mis sur pied une loi de recrutement. On sait comment se formait l’ancienne armée : elle était, pour les soldats, constituée par la levée et par l’enrôlement ; pour les officiers, jusqu’au grade de colonel, par l’élection pour un tiers, l’ancienneté pour un tiers, le choix pour l’autre tiers. (Décret de la Convention abrogeant, le 4 avril 1793, la loi du 29 octobre 1790 qui avait tout remis à l’ancienneté). Le maréchal constituait sur d’autres bases l’armée : l’artillerie et la cavalerie devaient être composées d’engagés volontaires ; l’infanterie (140 000 hommes) devait être constituée par le recrutement. Tout Français âgé de vingt ans devait six ans de service à moins qu’il ne se fit remplacer. Les grades étaient accessibles aux sous-officiers et un tiers des sous-lieutenances leur était remis, les deux autres tiers étaient réservés aux écoles militaires. On ne devait accéder à un grade supérieur qu’après avoir séjourné quelques années dans le grade inférieur. Le choix se manifestait pour corriger les défauts de l’ancienneté. Enfin une milice constituée par les soldats, au sortir du régiment, était créée sous la forme d’une compagnie par canton : elle devait durer six années et n’être astreinte qu’à un service purement local.

Si cette loi avait le tort de supprimer l’élection, si elle avait le tort de reposer sur le remplacement, sur « la traite des blancs », comme dira plus tard M. de Bonald, elle avait de sérieux avantages : elle fixait le soldat sur son sort : pris par le recrutement, il partait ; écarté par le tirage au sort, il ne partait pas, et ainsi tombaient les incertitudes qui durèrent sous tout l’ancien régime et sous l’Empire, alors que nul ne savait si le lendemain il ne serait pas appelé et quand il reviendrait. De plus, il déracinait la faveur ; autant que cette plaie du régime d’injustice pouvait disparaître, elle disparaissait ; on ne devait plus voir les folies de Dupont et du duc de Feltre donnant des grades, distribuant des galons, écrasant sous de pauvres médiocrités les vieux services et les honorables titres. Enfin, une armée était fondée en face de l’Europe dont l’armée d’occupation allait quitter le sol. Or, cette armée étrangère était imposée à la France pour calmer les ardeurs hostiles à la royauté, et une des conditions de son licenciement c’était qu’une armée française prît sa place.

Mais ce dernier avantage importait peu aux ultras. Ils souhaitaient, au contraire, le maintien de cette armée d’occupation dont cependant chaque budget rappelait à la France la lourde et coûteuse présence et qui dévorait cent trente millions par année. Tout leur était supportable, sauf cette loi qui allait porter atteinte au privilège de caste. Quoi ! une loi électorale votée le 5 février 1817 avait déjà ravi aux grands propriétaires l’influence sociale et politique pour élever à leur hauteur le privilège moyen des petites