Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/29

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chèrent à Napoléon sa tyrannie, faite de leur servitude, et proclamèrent sa déchéance légale étroitement solidaire de leur déchéance morale. Et puis, comme ils avaient encore besoin du sourire du maître, ils allèrent vers le maître nouveau : ils apportèrent à Alexandre leur vote. Celui-ci les remercia. Quelques jours après, quatre-vingts membres du corps législatif approuvèrent la délibération sénatoriale. Et, sous les coups de ses créatures et de ses courtisans, Napoléon s’écroulait.

Quelle réponse pouvait-il faire à cette déchéance légale qui le venait atteindre dans sa personne et dans sa famille ? Était-il en état de se lever pour foudroyer ces rebelles et réduire ces révoltes à des agenouillements  ? Lui restait-il une arme, une volonté, une âme ? Il nous faut rappeler ses actes.

Napoléon, dans la campagne de France, avait formé le plan de ruser avec l’ennemi et de le tromper sur ses intentions propres afin de l’arracher à la route de Paris. Tout son effort fut d’empêcher l’investissement de la capitale, sentant bien qu’au cas d’une capitulation la défaite militaire ne serait que la préface de la chute dynastique. Mais l’ennemi ne prit pas garde à ces tentatives et l’empereur ne put attirer derrière lui, dans sa marche sur l’est, Schwarzenberg, qui avait, et sans grande perspicacité, deviné cette ruse secondaire. Insensiblement, la lente marée de l’invasion recouvrait la Champagne, puis les environs de la capitale, sans se soucier de poursuivre Napoléon. Celui-ci, déjoué, revint. Le 31 mars, tout seul, il arrivait à Fonmenteau, harcelant les courriers de la poste. Il se heurte, le soir, à quelques soldats. Il interroge. Le général Belliard lui répond et lui apprend la capitulation. Le lendemain il était en son palais de Fontainebleau.

Un pressentiment l’avertit sans doute de sa chute prochaine, car il ne voulut pas faire ouvrir les grands appartements. C’est là que, le lendemain, il reçut Marmont et Moncey qui lui conduisaient, après un vain et héroïque effort, les débris d’une armée épuisée. L’empereur fit bon accueil à ces chefs malheureux. Il établit Marmont à Essonne et Moncey à Mennecy, huit kilomètres plus loin. L’empereur, pour marquer sa satisfaction de la conduite de tous, passa en revue les cinquante mille hommes échappés à la tuerie et distribua toutes les décorations demandées par Marmont. Des acclamations frénétiques s’élevèrent sur le front des troupes et restituèrent au maître l’espoir en sa destinée.

Quelques heures après, cependant, Napoléon recevait par le colonel Fabvier, un des signataires de la capitulation, avis des mouvements qui agitaient la capitale. Le colonel révéla à l’empereur la déclaration des souverains alliés proclamant à la face du monde qu’ils ne traiteraient ni avec Napoléon, ni avec sa famille. L’empereur se fit répéter ce récit, cette déclaration, se fit décrire l’état des esprits et préciser jusqu’aux injures échappées à quelques royalistes ; le fait qui, surtout, le frappa et le laissa incrédule fut