Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/59

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taisait loin des bruits guerriers, loin des intrigues parlementaires.

Chateaubriand, dans un brûlant pamphlet, rendit compte, de Gand, de cette revue. « Ceux qui vont mourir te saluent, César ! » C’est ainsi qu’il traduisait l’acclamation militaire qui, pendant tout un jour, enivra Napoléon. Il avait raison. L’Europe, qui avait mis « l’usurpateur » hors la loi, s’apprêtait à exécuter l’arrêt. L’armée russe, commandée par Alexandre, sortait lentement des brumes du nord et s’avançait vers la France. L’armée autrichienne, commandée par Schwartzenberg, était prête. L’armée prussienne, commandée par Blücher, passait le Rhin. L’armée anglaise était debout. Et l’effectif de toutes ces troupes montait au total formidable de 794 000 hommes.

Que pouvait leur opposer Napoléon ? Il n’avait rien trouvé en France. L’armée, les tronçons d’armée qu’il avait laissés après tant de batailles, était dissoute. Le traité du 30 mai avait livré toutes les forteresses et toutes les munitions et tous les approvisionnements. Et c’était un double dommage, car la France s’était dessaisie au profit de l’Europe. Autre péril : le traité du 30 mai avait ramené la France à ses frontières de 1700 et, par là, des villes autrefois éloignées de la frontière et sans défense étaient redevenues des villes de premier rang, avec de dérisoires ouvrages de guerre pour les protéger. La lutte paraissait impossible.

Parut-elle impossible à Napoléon lui-même ? Il faut le croire, et c’est à ce sentiment de faiblesse qui lui fut communiquée par la vision d’une telle déchéance militaire qu’est due sans doute son attitude vis-à-vis de l’Europe. Comme il convenait, un peu de politique s’y mêla, et il ne lui était pas indifférent d’apparaître à tous, non comme le provocateur, mais comme la victime de la coalition. Voilà pourquoi, à peine arrivé à Paris, il veut communiquer avec les diplomaties. Vains efforts, que même l’habileté et l’autorité de Caulaincourt, son ministre des affaires étrangères, ne peuvent seconder ; on arrête à la frontière les courriers portant à l’Europe les déclarations pacifiques de celui dont les chevaux avaient en tous sens piétiné les royaumes. Même une lettre à sa femme est décachetée, détournée par l’empereur d’Autriche, qui n’eut pas de peine à retenir à Vienne l’insensible idole à qui Napoléon avait demandé une filiation maladive. Cependant, il avait agi avec célérité et avec adresse : il avait fait placer sous les yeux d’Alexandre la correspondance de Talleyrand au congrès de Vienne, et le traité secret du 3 janvier, ce traité fait contre la Russie et la Prusse par l’Angleterre, la France et l’Autriche, et il escomptait la colère naturelle du tsar. La communication fut trop tardive, le représentant de Russie et celui de l’Autriche étant demeurés à Paris. L’empereur avait presque réussi à gagner Metternich. Mais c’est le moment que choisit Murat pour déclarer la guerre, Murat qui l’avait trahi, Murat qu’il avait fait prévenir, avant de quitter l’île d’Elbe, de ne pas gêner ses plans par un soulèvement inopportun. Metternich vit en Murat l’allié de Bonaparte et ne crut pas à la