Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/42

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celui du registre ; dès le 6, M. de Morny se résignait à ne point demander « aux fonctionnaires de l’ordre judiciaire ou autres un vote d’adhésion aux mesures politiques ou judiciaires qui venaient de s’accomplir ». Les auteurs du Coup d’État venaient d’apprendre subitement que leur politique hypocrite des derniers mois, que leurs efforts pour détourner le peuple de ses représentants démocrates, ou pour le dégoûter à jamais des assemblées délibérantes, n’avaient pas encore porté tous leurs fruits. Ils allaient être contraints, pour se maintenir, de s’appuyer plus que jamais à droite, sur les conservateurs, sur les cléricaux, sur les hommes de l’ordre, sur tous les partisans de la paix sociale. Pour, pratiquer la vraie politique impériale, césarienne, napoléonienne, pour avoir l’affection d’un peuple qui se contenterait de bienfaits, il faudrait donc attendre encore, réprimer encore.

Louis-Napoléon avait pu rêver d’un Empire démocratique, d’un Empire ouvrier, d’un Empire républicain, comme la légende définissait le premier. En fait, depuis des années, il n’avait agi qu’avec les conservateurs, qu’avec les catholiques : c’était avec leur complicité qu’il avait établi son pouvoir, et il ne s’était séparé de la majorité que pour garder sa conquête, pour lui seul. Mais les républicains ne s’y trompaient pas : c’était avec leurs adversaires, en dépit du malentendu de décembre, qu’il gouvernait. C’était à eux tout au moins qu’il devait des gages. Et les procureurs-généraux, les préfets, tous les agents qui depuis des années travaillaient à l’oppression des démocrates l’avaient compris ainsi. Dès les premiers jours, alors que l’annonce du Coup d’État avait plongé tout le monde dans l’inquiétude, ils s’étaient appliqués à rassurer les conservateurs, à leur montrer que Louis-Napoléon avait travaillé pour eux, à leur signaler les désordres dont les menaçait le prochain triomphe républicain. Et la résistance même des départements soulevés devenait pour eux un argument, dont ils allaient savoir user. Il y avait encore des factieux à réprimer : et pour la répression, on allait cette fois, ouvertement, utiliser les haines ou les peurs locales. Rien n’est plus symbolique à cet égard que le rapport du procureur général de la Cour d’Appel de Riom, le 4 décembre, rapport cité par M. Tchernoff (loc. cit, p. 56). « Un certain nombre de citoyens honorables, écrit-il se sont rendus chez moi, et m’ont demandé si j’approuve qu’une réunion d’hommes d’ordre ait lieu pour s’entendre sur les moyens de résistance en cas d’attaque de la part de la démagogie. Non seulement j’ai répondu que j’approuvais la mesure, mais j’ai envoyé à la réunion mes deux substituts en priant de déclarer que mon premier avocat général… tenait à être inscrit sur la liste et que, moi-même, je serais très empressé, le cas échéant, de me mettre à leur tête, le fusil à la main. »

Les conservateurs, les hommes de l’ordre, groupés derrière les représentants de l’autorité, le fusil à la main, contre les républicains et les ouvriers socialistes, c’était à ce groupement des forces qu’aboutissait le coup