Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/155

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chaque jour : quand, grâce à la force de cette nation héroïque, on dispose du monde en ce sens que de quelque côté qu’on penche on y amène la fortune ; quand on est le plus puissant parmi les souverains ; quand la destinée a épuisé pour vous toutes les faveurs ; quand tout vous a été accordé : quand, dans une existence légendaire, on est sorti de prison pour monter sur le trône de France après avoir traversé l’exil, quand on a connu toutes les douleurs et toutes les joies, il reste encore une joie ineffable à goûter, qui dépasserait toutes les autres et donnerait une gloire éternelle : c’est d’être l’initiateur courageux et volontaire d’un grand peuple à la liberté (Très bien ! très bien.) c’est de repousser des conseillers pusillanimes et sans foi, de se mettre directement en présence de la nation. J’en réponds, le jour où cet appel serait fait, il pourrait bien se trouver encore dans ce pays des hommes uniquement fidèles au souvenir du passé, trop absorbés par les espérances de l’avenir, mais le plus grand nombre approuverait avec ardeur. Et quant à moi… (Bruit ; plusieurs membres à gauche : Parlez ! parlez !) Et quant à moi, j’admirerais, j’appuierais, et mon appui serait d’autant plus efficace qu’il serait complètement désintéressé. (Marques d’approbation. Mouvements divers.) »

Hélas ! est-il permis d’idéaliser ainsi la vie de l’homme sinistre ? et peut-on ainsi parler de lui sans qu’aucun accent de la conscience mêle au moins une sourde tristesse et un amer ressouvenir aux flatteuses espérances ? La seule réponse que pourrait faire M. Émile Ollivier c’est que cette complaisance d’espoir était la condition même de son grand dessein politique, et qu’il ne pouvait tout ensemble offenser le maître et lui demander la liberté.

Le 10 juin de la même année, il définit de nouveau sa tactique : « Après notre entrée, nous avons compris que notre présence dans cette Assemblée impliquait l’abandon de cette doctrine d’impuissance et de fatigue qu’on appelle l’abstention. Ayant abandonné l’abstention, nous aurions cru manquer à notre devoir d’honnêtes gens si nous nous étions réfugiés dans une opposition systématique qui est la forme dernière et la plus honteuse de l’abstention (très bien ! très bien !). Aussi, oubliant nos douleurs, nos blessures, nos ressentiments, les yeux uniquement fixés sur les principes, nous avons approuvé le gouvernement quand il s’y est conformé ; nous l’avons blâmé quand il s’en est éloigné. »

De cette méthode qui n’est ni le dénigrement constant ni la complaisance systématique, il donne un assez ferme exemple dans l’examen auquel il se livre, le 4 février 1865, de l’ensemble de la politique du gouvernement depuis 1861. Avant tout, au dehors comme au dedans, elle est faite d’irrésolution, d’incohérence, de contradiction. Il aide d’abord l’Italie à s’affranchir, puis il l’arrête par le traité de Villafranca ; puis, averti par le soulèvement du peuple italien, il laisse se produire, malgré Villafranca, l’annexion de Naples, des duchés, des Marches, de l’Ombrie ; et le voilà qui, à propos de Rome, retombe en ses incertitudes. Par la convention de septembre, il pose nettement en principe « que Rome n’est ni aux catholiques, ni aux Italiens, qu’elle