Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/173

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pour répondre aux vœux ou aux habitudes du pays, chercher un nouveau roi, lequel ? Les uns tenaient pour le duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe, qui avait épousé une sœur d’Isabelle, et qui était ainsi, pour ainsi dire, naturalisé espagnol. D’autres songeaient au roi Ferdinand de Cobourg, veuf de la reine dona Maria et père du roi de Portugal, ou au duc Amédée d’Aoste, frère de Victor-Emmanuel. Un député aux Cortès, M. Salazar y Mazarredo, recommanda dans une brochure le prince Léopold de Hohenzollern. Il était allié, mais d’assez loin, à la famille royale de Prusse, et d’ailleurs catholique. C’était le frère de ce Charles de Hohenzollern qui était monté récemment, comme en un roman d’aventure, au trône de Roumanie. Il avait épousé une Bragance, et par les Murat, par les Pepoli, par les Beauharnais, il tenait aux Bonaparte. Est-ce que cette candidature s’offrit spontanément à l’esprit de M. Salazar ou lui fut-elle suggérée par des représentants de l’Allemagne ? Ce qui est sûr, c’est que M. de Bismarck saisit tout de suite le parti qu’il pourra tirer un jour de l’incident. Il ne s’engage pas à fond tout de suite, mais il y a là un ressort qu’il se réserve de faire jouer. Il ne pouvait douter que l’opinion française et la diplomatie impériale, déjà énervées par les succès de la Prusse, s’irriteraient, se soulèveraient peut-être contre l’avènement d’un prince prussien au trône espagnol. Les Hohenzollern n’allaient-ils pas inquiéter la France sur toutes ses frontières ? Si M. de Bismarck n’avait pas deviné l’effet certain de cette candidature, les démarches de la diplomatie française auraient suffi à l’avertir. M. Benedetti, le 27 mars 1869, informa le gouvernement français qu’un ancien représentant de l’Espagne à Berlin, M. Ranoès y Villanueva, était revenu dans cette ville sous prétexte de saluer le roi, et qu’il était fort possible qu’il se fut occupé de la candidature Hohenzollern. Le ministre donna ordre à M. Benedetti de s’assurer si en effet cette candidature était sérieusement examinée par la Prusse. « J’ai eu ce matin, répondit M. Benedetti, le 31 mars, l’occasion de rencontrer M. de Thile (sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères) et j’ai cru pouvoir lui demander (M. de Bismarck étant absent) si je devais attacher quelque importance aux bruits qui avaient circulé à ce sujet ; j’ai pensé qu’il était utile de ne pas lui cacher que je mettais du prix à être exactement informé, en lui faisant remarquer qu’une pareille éventualité intéressait trop directement, à mon sens, le gouvernement de l’Empereur pour qu’il ne fût pas de mon désir de la lui signaler, dans le cas où il existerait des raisons de croire qu’elle peut se réaliser. J’ai dit encore à mon interlocuteur que mon intention était, s’il n’y voyait pas d’inconvénient, de vous faire part de notre entretien.

« M. de Thile m’a donné l’assurance la plus formelle qu’il n’a, à aucun moment, eu connaissance d’une indication quelconque pouvant autoriser une semblable conjecture ; et que le ministre d’Espagne, pendant le séjour qu’il a fait à Berlin, n’y aurait même pas fait allusion. Le sous-secrétaire d’État, en s’exprimant ainsi, et sans que rien dans ce que je lui disais fût de nature à