Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/250

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C’est sans alliances que la France y était jetée ; et les sympathies mêmes qui l’avaient assistée au début de la crise se détournaient d’elle depuis l’orgueilleuse aberration de M. de Gramont : Admirable avait été l’attitude de l’Angleterre ! Tout ce qu’un gouvernement peut faire pour prévenir un conflit dont il n’aura point directement à souffrir, le gouvernement anglais l’avait fait. Il avait fortement conseillé à l’Espagne d’abandonner la candidature Hohenzollern. Il l’avait fortement conseillé à la Prusse. Quand la dépêche du prince Antoine apporta la paix à l’Europe, la diplomatie anglaise marqua sa vive joie, et la douleur des hommes d’État de l’Angleterre fut sincère et profonde quand l’étourderie funeste du duc de Gramont et ses prétentions intolérables remirent tout en question.

La faute du duc fut d’autant plus ressentie à Londres que le ministère anglais ayant prêté ses bons offices à la France, quand elle avait pour elle la raison et le droit, était en quelque sorte compromis par le duc de Gramont qui, avec la plus maladroite inconscience, se couvrait de la sympathie anglaise. Ayant dit au Corps législatif, le 11 juillet : « Tous les cabinets auxquels nous nous sommes adressé paraissent admettre la légitimité de nos griefs », il s’étonne que, trois jours plus tard, le ministre anglais Granville lui ait fait parvenir une rectification. Trois jours plus tard : dans l’intervalle tout avait changé, et il était impossible à l’Angleterre de maintenir une approbation qui prenait un sens tout nouveau. Il fallait au duc de Gramont une étrange sottise pour oser télégraphier à M. Benedetti, le 15 juillet au soir : « J’ai lieu de croire que les autres cabinets nous trouvent justes et modérés. » Chaleureusement, malgré les mécomptes, malgré le péril qu’il y avait à marquer la moindre bienveillance à une diplomatie infatuée et inégale, l’Angleterre, jusqu’au bout, essaya de sauver la paix ; l’ambassadeur anglais, lord Lyons, après avoir essayé en vain de mettre les ministres de France en garde contre leurs entraînements, transmettait encore avec un bon vouloir qui se décourageait sans se lasser une suprême suggestion de paix : le recours aux bons offices d’une puissance amie ; pauvre brindille d’olivier emportée aussitôt par le torrent. L’Angleterre ne pouvait plus offrir à la France qu’une neutralité attristée, et qui deviendra bientôt défiante et hostile quand M. de Bismarck aura publié l’abominable projet de main mise sur la Belgique, dont M. Benedetti, en 1867, lui avait laissé le brouillon écrit de sa propre main.

Encore moins que sur le concours de l’Angleterre, le gouvernement impérial pouvait compter sur celui de la Russie. Dans son télégramme du 15, M. de Gramont disait à M. Benedetti : « L’empereur Alexandre nous approuve chaleureusement ». C’est sans doute l’assurance que lui avait donnée quelques jours avant l’ambassadeur de France à Pétersbourg, le général Fleury. Et il est vrai que le Tsar avait conseillé la modération et l’esprit de transaction au roi de Prusse. Il fallait que la machination de la candidature Hohenzollern apparût à tous les tiers bien révoltante pour que le souverain de Russie, lié