Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/292

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le faible lien qui retient encore dans une discipline relative leurs troupes pleines de mauvaises pensées[1]. »

Thiers s’était garé sur la route de Sèvres pour voir passer les troupes, et il eut un soupir de soulagement, quand il les eut toutes vu s’écouler. Il se disait qu’il tenait la possibilité de sa revanche.

Les ministres eux, restèrent quelques heures encore dans la capitale. Ils avaient délibéré chez M. Cambon, y avaient reçu la visite des députés et des maires de Paris qui venaient leur proposer les termes d’une entente : mais la nouvelle connue de l’exécution des généraux Lecomte et Clément Thomas coupait court à ces négociations à peine ébauchées et, à leur tour, les ministres évacuaient. Jules Ferry qui avait tenu plus longtemps à l’Hôtel de Ville, sentant que toute résistance devenait impossible, abandonnait à son tour la partie.

Au matin, il n’y avait plus dans Paris un seul ministre, un seul général, un seul gouvernant. Paris était son maître. Paris était au peuple et à la révolution.

Pendant ce temps, que faisait donc Paris et que faisait la Révolution ?

Ils ne se doutaient pas de leur victoire. Rien dans les événements qui s’accomplissaient n’avait été de leur part délibéré, concerté, voulu. S’il y eut jamais mouvement réflexe, levée spontanée du peuple, ce fut bien en ce jour du 18 mars. Les soudards et les dirigeants étaient loin déjà, que la population parisienne les croyait toujours parmi elle, ne se rendait même pas compte du péril qu’ils avaient couru. À 3 heures, deux bataillons fédérés du XVe étaient passés en armes devant le ministère des Affaires étrangères où se trouvait assemblée toute la bande ministérielle. Les gardes nationaux n’auraient eu qu’à pousser les portes mal défendues par 50 ou 60 chasseurs, à entrer, et ils prenaient la bête dans sa tanière : tous les capitulards de la « Défense nationale » tous les sabreurs des coups d’État anciens et à venir, et Thiers par dessus le marché. Les deux bataillons défilèrent sans même se douter qu’ils laissaient échapper la meilleure chance de la révolution.

Si nous jetons à ce moment un coup d’œil sur la situation d’ensemble, nous voyons que les gardes nationaux, les ouvriers des faubourgs avaient suivi les troupes, gagnant le centre de Paris, les approches de l’Hôtel de Ville au fur et à mesure que se repliaient les soldats de Susbielle, de Faron, de Vinoy. Certes, ils comprenaient que la victoire venait à eux ; mais quelle victoire ? De leur succès, ces hommes n’avaient guère qu’une demi-conscience, non seulement les simples gardes nationaux, mais les chefs, les membres du Comité central. Les uns et les autres flairaient un piège, appréhendaient un retour agressif de l’ennemi.

Il faut attendre l’après-midi pour constater un commencement d’offensive

  1. Mes petits papiers 1871-1873, par Hector Pessard.