Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/436

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sent la Commune de ne pas avoir parlé socialisme. Le reproche est conforme à la vérité. Reste à peser le reproche et sa valeur. Il semblera peut-être que les révolutionnaires authentiques ont autre chose à faire qu’à promulguer des credo, voire plus modestement des programmes. Ils ont à agir et c’est à leurs actes qu’il convient seulement de les juger. De ce point de vue qui paraîtra, je crois, le meilleur, le tort essentiel de la Commune ne fut donc pas dans le langage qu’elle aurait pu tenir et qu’elle n’a pas tenu, mais bien dans l’action qu’elle aurait pu mener et qu’elle n’a pas menée. Si un reproche lui peut être légitimement adressé, c’est de n’avoir pas su mettre en œuvre les admirables énergies des quarante ou cinquante mille prolétaires qui s’étaient donnés à elle et devaient aller jusqu’au bout dans la voie du sacrifice, c’est d’avoir été veule, étourdie, incohérente et politiquement au-dessous des circonstances qu’il lui aurait fallu dominer et qui la dominèrent au contraire.

De cette veulerie, de cette incohérence nous avons détaillé les raisons. Il serait superflu de s’y appesantir. Sur place, au milieu des événements, nous allons en voir maintenant se dérouler les tristes et irréparables conséquences.


LA COURSE À l’ABÎME


Depuis l’échec de la sortie des 3 et 4 avril, l’armée versaillaise n’avait pas cessé de gagner du terrain, resserrant chaque jour davantage le cercle d’investissement. Au nord-ouest, malgré la résistance acharnée des braves que Dombrowski commandait, les troupes de l’Ordre s’étaient emparé, dès le 20 avril, de toute la rive de la Seine jusqu’à Gennevilliers et multipliaient leurs attaques contre Neuilly qui n’était plus qu’un monceau de décombres. Au sud, les forts de Vanves et d’Issy, ce dernier surtout, devenaient le point de mire d’un bombardement incessant et formidable.

En cette fin d’avril, Versailles avait sur pied 120.000 hommes répartis en trois corps d’armée placés respectivement sous le commandement des généraux de Ladmirault, de Cissey et du Barrail. Les deux premiers de ces corps comptaient chacun trois divisions d’infanterie, une brigade de cavalerie légère, six batteries d’artillerie et trois compagnies du génie. Le troisième corps était composé uniquement de cavalerie, appuyée par trois batteries d’artillerie à cheval. En chef commandait le maréchal de Mac-Mahon. Thiers avait d’abord songé à appeler à ce poste de confiance le maréchal Canrobert, mais celui-ci ayant semblé décidément trop bonapartiste à l’Assemblée nationale, avait été écarté. Plus terne, plus neutre, Mac-Mahon lui avait été préféré. Mac-Mahon ou Canrobert, c’était du reste bonnet blanc et blanc bonnet, le premier valait le second et inversement ; le nom de l’un comme le nom de l’autre disaient également trahison et incapacité devant l’ennemi de l’extérieur, impitoyable férocité contre l’ennemi de l’intérieur : le peuple. Et les troupes déjà étaient presque au diapason des généraux et des officiers, chauffées à blanc, saoulées