Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/45

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Mayence, il préférait disparaître de la scène politique plutôt que d’y consentir. » Il essaie d’amuser la convoitise de la France en lui faisant entrevoir la possibilité, d’ailleurs bien incertaine, d’un arrangement avec les territoires de la Moselle, avec le Luxembourg, mais pour les régions rhénanes refus absolu ; même à cette minute tragique où l’habileté de la France peut faire sombrer tous les desseins de la Prusse et de M. de Bismarck. Quand l’empereur Napoléon a publié sa lettre du 11 juin à Drouyn de Luys où il déclare « qu’il repoussera toute idée d’agrandissement territorial tant que l’équilibre européen ne sera pas rompu », et où il semble annoncer ainsi qu’après la victoire de l’un ou l’autre combattant il réclamera des compensations, M. Benedetti signale à son gouvernement l’émotion de la Prusse et de toute l’Allemagne, « Ce document, dit-il dans sa dépêche du 15 juin, a produit à Berlin la plus vive impression et il est en ce moment l’objet de tous les entretiens. Je dissimulerais ce qui m’en revient, si je ne disais à Votre Excellence qu’il a éveillé dans l’opinion publique un véritable sentiment d’appréhension. Personne ici ne pouvant s’empêcher de prévoir que la guerre ne saurait laisser la situation territoriale de l’Allemagne dans son état actuel et considérant qu’elle resterait infructueuse pour la France s’il n’en devait résulter pour elle aucune acquisition, on conclut du langage de l’Empereur que Sa Majesté est fermement résolue, dès à présent, à revendiquer pour la France des compensations équivalentes. Or, il ne vient à l’esprit de personne de penser que nos frontières puissent être reculées au préjudice de puissances limitrophes qui n’auraient pas pris part à la lutte, ce serait donc, ajoute-t-on, des provinces allemandes qu’il faudra céder à la France et cette prétention soulève dans la presse et dans les rangs des adversaires du cabinet prussien, les récriminations les plus énergiques. . . La doctrine, qui représente l’Allemagne comme une puissance unique et libre de se constituer à son gré, aveugle les esprits les moins prévenus, et ils repoussent avec indignation toute idée de transaction qui entraînerait la perte d’une portion quelconque du territoire. »

Quelques jours plus tard, après Sadowa, Benedetti pourchassant M. de Bismarck jusque dans le camp prussien et allant le traquer dans sa victoire, se heurte à la même résistance désespérée. D’après les notes et dépêches de ce moment, que l’historien allemand Sybel a eues sous les yeux, M. de Bismarck déclare, le 7 août, à notre ambassadeur :

— Pourquoi voulez-vous nous jouer ce tour ? Vous devez bien savoir que pour nous la cession d’une terre allemande est une impossibilité. Si nous nous y décidions, nous aurions, malgré tous nos triomphes, fait banqueroute. Peut-être pourrait-on trouver d’autres moyens de vous satisfaire ; mais si vous persistez dans vos exigences, nous emploierons — ne vous y trompez pas — tous les moyens ; non seulement nous ferons appel à toute la nation allemande, mais nous concluerons la paix avec l’Autriche à n’importe quelle condition, nous lui abandonnerons toute l’Allemagne du Sud ; et alors, tous unis, nous irons sur