Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/464

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Paris comptait, a capitulé presque sans combat. La bataille n’est que plus bas, après, aux alentours. Au boulevard Ornano, les fédérés disputent le terrain pied à pied. À l’avenue Trudaine, les réguliers sont arrêtés également longtemps par une poignée d’hommes. À la rue Myrrha, autre engagement sanglant, au cours duquel Dombrowski est frappé mortellement d’une balle à l’aine, aux côtés de Vermorel. À la place Blanche, un bataillon de femmes conduit par l’héroïque Louise Michel et la russe Dimitrieff et qui s’est déjà battu la veille aux Batignolles, accomplit des prodiges extraordinaires de bravoure. La position devenue intenable, le bataillon court se reformer à quelques centaines de mètres plus loin, à la place Pigalle, où il fait front de nouveau à l’ennemi et il continuera ainsi jusqu’au dernier jour n’abandonnant une barricade que pour reprendre derrière une suivante son combat farouche.

Quoiqu’il en soit, la prise de Montmartre portait à la Révolution un coup fatal. Maîtres de la principale hauteur de Paris, les Versaillais pouvaient contrebattre avec leur artillerie les buttes Chaumont et le Père-Lachaise, et l’effet moral était plus considérable encore. Dès cette heure, la réaction était virtuellement victorieuse. C’est ce que Thiers annonça aux départements dans un télégramme triomphant.

Le massacre allait suivre la victoire. On avait déjà tué la veille sans doute aux Batignolles et sur la rive gauche, fusillé inexorablement derrière les barricades emportées tous les défenseurs survivants ; on avait aussi abattu sur les trottoirs, au petit bonheur, des passants inoffensifs ; mais la boucherie n’avait pas revêtu encore un caractère méthodique, manifestant un plan d’ensemble, une volonté directrice. La troupe, accompagnée et contrôlée par la police, ne fouillait pas encore une à une les maisons des quartiers conquis, ne les vidait pas de la cave au grenier et n’en collait pas au mur tous les locataires, parce qu’un pantalon, une vareuse de garde nationale, une paire de godillots avait été trouvés dans une des chambres de l’immeuble. Montmartre tombé, la tuerie se systématisa, s’ordonna de façon que pas un Parisien prolétaire n’en réchappât, et que les "louves" et les "louveteaux", c’est-à-dire les femmes et les enfants fussent assommés avec les loups. Un premier abattoir avait été installé dans la matinée au Parc Montceau ; un second le fût au numéro 6 de la rue des Rosiers, dans le jardin de l’immeuble où, deux mois auparavant, avaient été fusillés par la foule les généraux Lecomte et Clément Thomas.

« Quand l’armée arriva, dit Camille Pelletan, qui ne fut rien moins que communard, elle sembla croire, par je ne sais quel mysticisme de répression que la rue même fut criminelle, et que chacun de ses habitants eût sur lui une éclaboussure du sang de Clément Thomas et de Lecomte. On fusilla largement. Puis l’on s’installa au no 6 ; on fit aux mânes des deux généraux d’affreux sacrifices et le jardin vit des scènes de torture et de mort dont l’invention barbare et superstitieuse était digne du onzième siècle. Les prisonniers étaient amenés là de tous côtés : quels prisonniers ? Tous ceux que le soupçon ou la