Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/500

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secouée peut-être aussi par la méritoire protestation de Victor Hugo, se refusèrent expressément ou du moins pratiquement à jouer rôle de rabatteurs pour le compte de la réaction française, et les évadés purent respirer en paix sur la terre d’exil.

Plusieurs milliers de travailleurs parisiens durent ainsi la vie et la liberté à l’attitude courageuse et humaine de l’aristocratique Angleterre. Quelques-uns, plus audacieux ou plus chanceux, avaient pu glisser à travers les mailles du filet militaire et policier et passer la frontière dès le lendemain de la chute de la Commune. En juin et juillet les rejoignirent, dès qu’ils eurent pu se procurer le passe-port et les fonds indispensables, tous ceux — et ils étaient légion — qui se cachaient, se dissimulaient, erraient misérablement d’atelier en atelier, sous le coup de poursuites, menacés par les dénonciations qui continuaient à faire rage. La plupart vinrent chercher directement un abri Outre-Manche, où la société, renseignée par les journaux, qui lui avaient dit à peu près la vérité sur les massacres de Paris, se montrait accueillante aux proscrits, prête à leur procurer emploi et travail. Certains demeurèrent sur le continent, qui en Suisse, qui en Belgique, qui en Allemagne même, dans les provinces récemment annexées, c’est-à-dire là où l’on pariait encore la langue maternelle, où la séparation paraissait par suite moins douloureuse, moins grevée d’aléa. Libres, ou à peu près du reste, les uns et les autres, non plus traqués comme des fauves, mais autorisés à se refaire une existence et un foyer et en tous cas vivants.

Fin juillet, il n’y avait plus, peut-on dire, un seul Communeux dans Paris. Des 100.000 hommes, des 100.000 républicains et socialistes qui avaient appuyé jusqu’au bout le mouvement du 18 mars, ceux qui n’étaient pas morts assassinés pendant ou après le combat ou qui ne pourrissaient pas captifs et enchaînés dans les bagnes du vainqueur étaient en fuite, avaient pris sans espoir de retour, hélas ! le chemin de l’exil.

C’est à ce moment, surtout, c’est alors dans le silence et la torpeur qui succédèrent aux convulsions dernières que la situation apparut sous son vrai jour et que la réaction put exactement mesurer l’étendue de son triomphe. Des quartiers entiers se trouvaient dépeuplés ; la vie s’en était comme retirée. Dans telles et telles rues, naguère fourmillières de travailleurs, il ne restait plus que les vieilles femmes et les tout jeunes enfants. 100.000 électeurs manquèrent à l’appel lors des élections municipales de juillet qui se produisirent deux mois après la semaine sanglante. En certains arrondissements le déchet s’accusa particulièrement formidable. Au XXe, par exemple, le chiffre des votants qui avait été en avril de 16.300, tomba, à cette occasion, à 6.700. 10.000 électeurs environ, plus des trois cinquièmes de la population mâle adulte, avait donc sombré dans la tourmente.

Mais un document plus éloquent encore vint quelque temps après établir, de façon lumineuse et péremptoire, les pertes formidables subies par