Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/58

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l’intérêt pour les duchés, qui s’est déchainé en tempête il y a quelques mois, allait moins à la question même du Schleswig-Holstein qu’à la question allemande, qui semblait devoir trouver en ce conflit une solution. Mais, depuis que l’affaire n’est plus qu’une question de puissance et d’influence entre la Prusse et l’Autriche, la passion excitée des masses est retombée, ou a pris une autre direction. D’ailleurs la joie de voir que les duchés ont cessé d’être danois contribue à cet apaisement ; mais cela n’empêche pas que dans les États allemands du Sud, un sentiment de désapprobation va s’étendant tous les jours, pour le rôle passif auquel ces États ont été condamnés, dans une question qui touche aux intérêts allemands.

« Ce sentiment est commun aux gouvernements et au peuple, et il apparaît nécessaire aux gouvernements de chercher le moyen de sortir de cet état de choses. Les hommes d’État bavarois voient le salut dans ce qu’on appelle la Triade, c’est-à-dire dans l’union plus étroite des États moyens et dans leur organisation en un État fédéral sous l’hégémonie de la Bavière, un État fédéral qui formerait, avec l’Autriche et la Prusse, le véritable État fédéral allemand.

« Mais la réalisation de cette idée se heurte à bien des obstacles en ce moment infranchissables. D’abord le refus des diverses dynasties de renoncer à une partie de leurs droits de souveraineté, au profit de la maison régnante, qui serait à la tête de ce petit État fédéral. Je crois que ni le roi de Saxe ni le roi de Wurtemberg n’auraient beaucoup de goût à renoncer à n’importe quel droit au profit de notre jeune roi. Le roi de Hanovre n’y a non plus aucune inclination.

« Un deuxième obstacle est formé par la répugnance du parti démocratique à l’idée de la Triade. La démocratie de l’Allemagne du Sud et de l’Allemagne moyenne, appartient en partie au Nationalverein, et s’efforce avec lui d’organiser un État fédéral allemand sous la direction de la Prusse. Elle tient le gouvernement de M. de Bismarck pour un mal passager après la disparition duquel l’idée de cette entente allemande pourra se réaliser. Les autres démocrates sont consciemment ou inconsciemment des républicains, qui attendent le temps où un orage démocratique, passant sur le continent, ébranlera les trônes et ramènera les temps heureux d’une Assemblée nationale constituante pour toute l’Allemagne. »

C’est, semble-t-il, une analyse excellente de l’état d’esprit complexe et incertain de l’Allemagne du Sud en cette période qui va de l’affaire des duchés à la guerre de 1866. Tandis qu’une partie de l’opinion européenne oubliant un peu que les peuples de Schleswig-Holstein étaient allemands et demandaient leur retour à l’Allemagne, ne voyait dans la guerre des duchés qu’un attentat de la Prusse ; l’Allemagne toute entière se réjouissait qu’une population allemande fût arrachée au Danemark. Les États du Sud déploraient de n’avoir pu jouer un grand rôle allemand dans cette libération allemande, et malgré toutes les particularités de mœurs et de pensée qui les séparaient de la Prusse, malgré leur méfiance à l’égard de l’ambition prussienne, ils étaient tout prêts à saluer