Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/165

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car il faut tenir compte du sentiment du pays et le pays se lasse du provisoire, il s’inquiète de l’impuissance de la majorité.

C’est le 21 janvier que s’ouvre définitivement le débat : chaque groupe de l’Assemblée semble avoir pris nettement position ; un seul marque une grande indécision, le centre-droit qui cherche à s’orienter, tiraillé rentre les résolus de la droite et le centre-gauche dont le modérantisme bien évident le frappe ; n’est-il pas composé d’hommes en majorité naguère hostiles à la République, venus à elle par raison ou par patriotisme ; puis, parce qu’ils comptent bien imposer à la France une République par-dessus tout et avant tout conservatrice des intérêts économiques et politiques de la classe dirigeante et possédante ? N’est-ce pas M. Thiers qui les inspire ? Aux deux ailes du champ de bataille, l’extrême-droite royaliste, appoint important, est décidée à s’opposer à tout ce qui ne préparera pas la restauration de la monarchie traditionnelle représentée par le comte de Chambord ; à l’extrême-gauche, une poignée de républicains qui affirment la résolution de ne pas se laisser entraîner hors du terrain des principes. Quelle majorité pourra se former — et dans quelle voie s’engagera-t-elle — parmi cette masse confuse, agitée par les passions les plus diverses et les plus vives ?

M. de Ventavon engagea les hostilités en présentant le projet dont il revendiquait la paternité, qui était bien de lui, bizarre, falot comme son auteur. Il n’avait pas la prétention de présenter un projet de constitution, son ambition n’allait pas jusque là ; il avait simplement pour but « d’organiser des pouvoirs temporaires, les pouvoirs d’un homme… », les pouvoirs du Maréchal, le Septennat ; on le baptisa le Ventavonat !

Quelle était l’économie du projet : deux Chambres ; la Chambre des députés et le Sénat ; pouvoir absolu donné au Maréchal de dissoudre de sa propre autorité la Chambre des députés ; pendant la durée de ses pouvoirs le Maréchal-président pouvait demander la révision des lois organisant les pouvoirs publics. Enfin, point important, si par suite de démission, de mort ou de l’expiration des pouvoirs la présidence devenait vacante, il appartenait aux deux Assemblées réunies en congrès, de prendre, en pleine souveraineté, telles décisions qu’elles jugeraient nécessaires. C’était la porte laissée ouverte aux espérances et aux conspirations monarchistes. Le projet était loin de créer le définitif pour la stabilité réclamée par le suffrage universel. M. Lenoël se prononça nettement contre le projet ; orateur d’allures et d’opinions très modérées, son discours produisit une forte impression sur le centre-droit, même quand après avoir démontré que la Commission des Trente n’avait en vue que l’organisation d’une monarchie temporaire qui exclut les autres monarchies à temps, et qui exclut la République à perpétuité, il déclara que la République était la conséquence logique et nécessaire de la souveraineté nationale. »

La bataille est désormais engagée sur toute la ligne et chaque groupe s’y rue avec une passion extraordinaire. Les légitimistes, par la voix de