Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/171

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elle fit naître dans l’esprit de tous des perplexités, tellement que son renvoi à la Commission fut adopté sur la proposition de M. de Ventavon.

A la réflexion, les républicains reconnurent que son adoption serait pour eux une victoire importante, parce qu’il n’y aurait plus, dès lors, place pour une restauration légale de la Monarchie ; ce serait la base même d’une Constitution républicaine puisque, légalement, il resterait stipulé que Chambre et Sénat réunis en assemblée nationale, ne pourraient élire qu’un président de République. C’était peu et beaucoup à la fois. Des négociations s’engagèrent entre les gauches, le centre-gauche en vue de la ligne de conduite à adopter. MM. Gambetta et Jules Ferry, Léon Say, Bérenger, Dufaure et M. Léonce de Lavergne, du centre-droit, établirent les bases d’un accord et il parut qu’en manœuvrant avec habileté, prudence, on pourrait trouver une majorité pour voter l’amendement Wallon ou du moins serrer de près la victoire.

Le 30 janvier, le combat recommença. La Commission des Trente repousse l’amendement de M. Wallon qui le défend. Dans son ouvrage de Paris à Versailles, M. Ranc, en quelques lignes, a tracé un croquis très exact de celui qui, dès cette séance, fut paré du titre de « père de la République » : « M. Wallon soutint son amendement avec d’infinies précautions de langage. Il semblait demander pardon à Dieu et aux hommes d’être réduit par la force des choses à défendre le régime républicain. M. Wallon a eu son jour de gloire. Professeur sans auditoire, écrivain sans lecteurs, la politique l’a d’un seul coup bombardé à la célébrité. Il était né pour l’oubli, et son nom vivra : nul esprit plus rétrograde que le sien, et ce nom sera, dans les souvenirs, attaché à la fondation de la République. Le sort a de ces ironies ».

M. Wallon fut, en effet, peu écouté par une Assemblée sur laquelle il n’avait aucune autorité et dont le siège était déjà fait. Un amendement perfide présenté par M. Desjardins fut repoussé à une énorme majorité et il fut procédé au vote sur l’amendement Wallon modifié en ce sens que l’élection du président de la République devait avoir lieu à la majorité absolue et non à pluralité des suffrages, après une déclaration de M. Dufaure qui résumait et confirmait l’accord conclu : « Avec l’honorable M. Wallon, avec un grand nombre de mes amis, j’admets parfaitement en premier lieu que, par l’amendement de M. Wallon, nous ne porterons aucune atteinte aux pouvoirs qui ont été conférés, le 20 novembre, à M. le président de la République et, en second lieu, que nous admettons le droit de révision ».

Il était près de sept heures quand le résultat fut proclamé ; l’amendement Wallon était adopté par 353 voix contre 352. La majorité était bien chétive, mais elle fut accueillie par les applaudissements enthousiastes de la gauche qui avait voté avec un ensemble parfait : une partie du centre-droit avait formé l’appoint ; les amis de M. Léonce de Lavergne étaient restés fidèles au pacte.

La République était fondée et il y eut en France une détente. Le territoire avait été libéré de l’envahisseur ; la France était libérée de la monarchie. Il