Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/210

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du 18 mars. Les difficultés, durant cinq mois furent nombreuses, elles parurent parfois insurmontables et, toutefois, M. Jules Simon sut toujours les tourner, tant sa souplesse était grande.

Une partie de son cabinet agissait dans l’ombre contre lui, entre autres le duc Decazes qui, de l’aveu même de ses amis ou partisans, conduisait en dépit de la logique et du bon sens la politique extérieure de la France, particulièrement dans les affaires financières du canal de Suez qui allaient bientôt poser la question d’Égypte, source de préoccupations graves durant des années. Une crise avait failli éclater du fait du retard apporté à communiquer la dépêche annonçant la démission de Midhat-pacha, retard qui fut attribué à la volonté bien arrêtée de faire un coup de bourse fructueux. Dans le Parlement et au dehors, tandis que du côté des conservateurs on disait que son cabinet était aux ordres de Gambetta et de ses amis, du côté gauche on insinuait qu’il suivait trop l’orientation des cléricaux et, suivant que les attaques se prononçaient, se précisaient, M. Jules Simon en pilote expérimenté barrait à droite ou à gauche. En somme, le ministère était visé de tous côtés, et le Maréchal le tenait en particulière défiance, se laissant aller aux insinuations, aux conseils des chefs militaires, des hommes les plus influents de la Droite et, surtout, du parti clérical. Le 15 mars déjà, le président de la République déclarait au cardinal de Bonnechose qu’il était résolu à ne plus faire de concessions.

Cependant le parti républicain est frappé, inquiet de la recrudescence de l’agitation cléricale qui, évidemment, est attisée par le Vatican irrité de ce que deux ministres du Maréchal se sont rendus en Italie et se sont mis en rapports ouverts avec les ministres du roi Victor-Emmanuel ; ces deux ministres sont le président du Conseil et le ministre des Finances, M. Léon Say. Les gauches sont unies pour demander des explications au gouvernement sur les menées ultramontaines, caractérisant ainsi la part très grande d’un élément étranger dans la politique intérieure du pays. C’est le 3 mai que doit avoir lieu l’interpellation, mais M. de Mun prend les devants et avant qu’un des trois interpellateurs aient pu prendre la parole, il questionne le président du Conseil sur l’indifférence coupable affichée par le gouvernement vis-à-vis du déchaînement d’injures et de blasphèmes qui a marqué l’attitude de la presse républicaine et des orateurs dans les banquets organisés par les libres-penseurs sur plusieurs points du territoire, durant la semaine sainte : « Je demande, dit l’orateur catholique, au gouvernement s’il entend accepter une solidarité quelconque avec les organes de la majorité. Faut-il vous rappeler que, pendant cette semaine que, d’un bout du monde à l’autre, des millions de chrétiens appellent « la semaine sainte », il y a eu, dans toute cette presse, comme une fureur d’impiété qui a fait frémir de honte et d’indignation tous ceux qui respectent encore la foi de leurs pères et qu’il en est encore ainsi chaque jour, sans qu’une voix s’élève dans les conseils du gouvernement pour venger le Dieu des chrétiens ? »