Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/236

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L’exemple donné par les républicains socialistes parisiens fut repris et sa candidature fut posée. C’était la candidature d’un inéligible : il fut néanmoins élu à une imposante majorité de 4.000 voix. Mais, malgré un magnifique discours de M. Clemenceau, il fut invalidé ; 33 républicains seulement avaient voté sa validation.

Son élection, toute annulée qu’elle était, avait été accueillie par un tel mouvement d’enthousiasme, que le gouvernement se trouva dans l’obligation morale de le mettre en liberté, mais, pour qu’il restât inéligible, il ne fut gracié que deux jours après que le délai d’application de l’amnistie aux graciés était expirée. Il n’y avait pas de jésuites que dans les rangs de la Droite.

Le 1er septembre, le premier navire ramenant en France des déportés arrivait à Port-Vendres. L’accueil le plus chaleureux leur y fut fait. À Paris, l’accueil fut enthousiaste ; une foule énorme se pressait, acclamant ceux qui avaient lutté, souffert pour la cause républicaine et la cause socialiste, émue à la vue de ces physionomies ravagées par un long voyage et le long temps passé loin de la famille, loin des amis. Chaque convoi reçut le même accueil ; chacun était l’objet de manifestations attendries et ce n’était pas la moindre surprise pour les rentrants que de voir cette foule ardente, attendrie, alors qu’à la fin de la Commune, leurs colonnes, traversant Paris encadrées de cavaliers et de fantassins menaçants, ils avaient été assaillis, sur tout le parcours, par les clameurs d’une foule affolée de terreur et de haine. Bientôt, chaque proscrit resté dans l’action militante reprit sa place dans le parti auquel son tempérament, ses convictions le ralliaient. On en put trouver dans toutes les fractions, depuis la fraction opportuniste jusqu’au parti socialiste révolutionnaire qui fit parmi eux de nombreuses et excellentes recrues.

Le retour des proscrits ne fit qu’activer la propagande en faveur de l’amnistié plénière ; ceux qui avaient bénéficié de l’amnistie partielle faisaient le récit des souffrances, des humiliations endurées dans les camps, sur les pontons, dans les prisons, dans la déportation et au bagne, et c’était un profond sentiment d’indignation, de colère et de pitié que ces récits provoquaient. À Paris, M. Alphonse Humbert, l’ancien rédacteur du Père Duchêne, était élu conseiller municipal dans le quartier de Javel, après avoir été, au préalable, puni de prison pour avoir, à l’enterrement de son camarade Gras, prononcé un violent discours contre la justice des conseils de guerre. Son élection fut annulée. De cette agitation à laquelle se joignait l’active propagande socialiste, tous les réacteurs essayèrent de tirer parti pour apeurer le pays. L’effort fut vain.

C’est au mois d’octobre de cette même année que se tint à Marseille le troisième Congrès. Son importance fut capitale, décisive ; de son attitude, de ses résolutions se dégagea la doctrine générale qui devait, malgré les scissions qui allaient plus tard se produire, orienter l’ensemble des forces socialistes. À Paris, en 1876, la politique avait été bannie des séances ; à Lyon, les idées collectivistes n’avaient attiré qu’une infime minorité et avaient provoqué de fort