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Les résultats des fautes commises par les ministères successifs qui avaient énervé, inquiété le pays, des divisions des républicains de gouvernement, de l’attitude inconcevable du gouvernement furent un sujet de stupéfaction. Après les deux tours de scrutin, la composition de la Chambre, considérée dans son ensemble, était la suivante : 383 républicains et 201 réactionnaires. Les partis de droite qui, aux élections de 1881, avaient au total obtenu 1.789.767 suffrages, en obtenaient cette fois 3.541.384, soit un gain de 1.751.617 suffrages. L’événement était sensationnel. Il démontrait qu’une notable partie des électeurs républicains était prête à se laisser cueillir par le parti audacieux qui oserait en faire la tentative. Ce fut une profonde émotion dans le parti républicain dont les diverses fractions n’hésitèrent pas à se renvoyer, dès la première heure, la responsabilité de ce retour offensif, menaçant, d’un ennemi qu’on croyait bien avoir écrasé définitivement en 1881.

Malgré une fort belle campagne, durant laquelle, ayant des moyens plus que modestes à sa disposition, le Parti socialiste groupa une minorité respectable de voix ; elle accusait des progrès lents mais certains. Son activité s’était manifestée dans les grandes villes, dans les centres industriels des principales régions ; partout avaient été développées les idées essentielles du programme surgi des différents Congrès qui avaient suivi celui tenu à Marseille en 1879. À Paris seulement, malgré les difficultés présentées par le scrutin de liste, ses candidats avaient réuni près de 30.000 voix. Clovis Hugues, Antide Boyer, Camélinat, Basly élus, allaient prendre les premiers sièges à la gauche de l’Extrême-Gauche.

Le bureau de la nouvelle Chambre ne fut pas aisé à constituer. Si M. Floquet fut élu président sans opposition, il n’en alla pas de même pour les vice-présidents parmi lesquels figurèrent MM. E. Lefèvre et Anatole de la Forge.

La nouvelle Chambre avait une lourde tâche à accomplir : à l’intérieur, des réformes importantes et urgentes ; les questions coloniales à régler et une situation extérieure qui, depuis la constitution de la Triplice, sollicitait toujours l’attention, car la paix de l’Europe était à la merci d’un incident. Mais était-il possible d’entreprendre un travail suivi avant d’avoir liquidé le problème ministériel. Le parti républicain rendait le cabinet Brisson — il n’y avait rien d’exagéré, du reste — responsable de la victoire remportée par la réaction, puis les pouvoirs du Président de la République venaient à expiration. Le cabinet Brisson traversa non sans difficultés les débats provoqués par le traité conclu avec la reine de Madagascar et la question de l’évacuation ou de la non évacuation du Tonkin. Le 28 décembre, les deux Chambres réunies en Assemblée nationale, à Versailles, réélisaient par 457 voix sur 589 votants, M. Jules Grévy président de la République, et le 7 janvier, suivant l’usage constitutionnel, un nouveau Cabinet fut constitué sous la présidence de M. de Freycinet. M. Sadi-Carnot détenait le portefeuille des Finances, M. Sarrien celui de l’Intérieur, M. Goblet celui de l’Instruction publi-