Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/312

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Le passage du général André au ministère de la Guerre, fut marqué par des mesures dont quelques-unes énergiques et salutaires furent l’objet de vives critiques de la part des réacteurs ; une toutefois, inexplicable du reste, fut bien accueillie par eux, la nomination du général Négrier, le véritable responsable de l’affaire de Lang-Son, au Conseil supérieur de la guerre.

Tandis que se déroulaient ces incidents, que le Parlement discutait la loi relative au casier judiciaire et à la réhabilitation de droit, l’augmentation de la flotte, l’interpellation de M. Mirman sur les abus du marché à terme des laines à Roubaix, grand centre de la féodalité industrielle et commerciale, de graves événements se produisaient en Chine et provoquaient une profonde émotion en Europe et en Amérique.

Sous l’impulsion des Boxers, vaste association secrète ayant pour but de restreindre l’influence politique, religieuse, économique, prise par les « occidentaux » en Chine, un soulèvement formidable avait éclaté ; des massacres avaient été opérés en grand nombre. Le mouvement était maître de la capitale et de ses environs ; les légations étrangères étaient directement menacées.

Le 11 juin, M. Denys Cochin, membre de la droite, spécialiste classé en matière de politique extérieure, demandait au ministre des Affaires étrangères quelle attitude et quelles mesures comptait prendre le Gouvernement « pour protéger les drapeaux qui flottaient sur les légations et exiger, le cas échéant, les réparations nécessaires ».

M. Delcassé exposa la situation : elle était grave ; le mouvement qui se produisait était dirigé contre la civilisation occidentale, les insurgés « s’en prennent aux écoles, aux missions, aux chemins de fer, aux lignes télégraphiques ». Tous les étrangers, sans exception, sont en péril. Il en naîtra donc fatalement une solidarité entre toutes les puissances. En vue de toutes les graves éventualités qui peuvent surgir, des mesures militaires et navales sont prises d’ores et déjà : elles seront complétées si cela devient nécessaire.

Comme tous les renseignements fournis par les agents diplomatiques en Chine portaient à le prévoir, le mouvement boxer prenait de vastes et tragiques proportions ; il était évidemment favorisé par le gouvernement chinois, particulièrement par l’impératrice, âgée mais énergique. Le baron Ketteler, ambassadeur d’Allemagne, avait été tué par des soldats chinois au moment où il se rendait au Tsong-Li-Yamen ; le feu avait dévoré toutes les légations, excepté celles de France, d’Allemagne, d’Angleterre, où les fonctionnaires de toutes les nationalités s’étaient réfugiés et où ils étaient assiégés par une foule de Boxers et de soldats réguliers. Leur situation était terrible ; l’issue de ce siège paraissait fatale ; l’opinion était sous le coup d’une poignante anxiété. Des mesures énergiques étaient nécessaires et urgentes. Une demande de crédits supplémentaires, s’élevant à 53.694.649 francs, destinés à l’intervention militaire et navale, qui s’imposait, et à couvrir des dépenses déjà effectuées, fut déposée sur le bureau de la Chambre. M. Sembat, à cette occa-