Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/60

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problèmes de la concentration et quel est, en gros, l'usage que feraient les états-majors, pour la défense du pays, de toutes ses forces armées ?

Le rapport de M. Messimy, les déclarations récentes du ministre de la Guerre, qui suppriment presque officiellement la moitié des réserves, ont passé à peu près inaperçus. Aucun Français ne se demande, ni tout haut, ni tout bas : Mais enfin, puisque la France exige de tous les hommes valides deux années de leur vie, puisqu'on nous répète que l'art de la guerre consiste à pouvoir toujours, sur le point décisif, opposer des forces supérieures à l'ennemi, puisque les chefs prétendent que les premiers événements de la guerre ont une influence décisive ou capitale sur toute la guerre, pourquoi les seize cent mille hommes valides des onze classes de réserves ne sont-ils pas concentrés dès les premiers jours avec les deux classes de l'active et pourquoi toute cette masse n'est-elle pas précipitée sur l'envahisseur comme un bloc d'airain ? Y a-t-il une impossibilité pratique, technique ? Qu'on le dise ou plutôt qu'on étudie. Ces sortes de problèmes techniques ne sont insolubles qu'aux pays qui ne veulent pas les résoudre.

La vérité est que la nation se désintéresse de ces problèmes et qu'elle permet ainsi aux professionnels de s'en désintéresser ou de les trancher arbitrairement, dans le sens des intérêts de caste les plus égoïstes, ou des préjugés les plus étroits, ou des routines les plus paresseuses.

L'éducation militaire de la nation n'est pas faite. Elle est à peine ébauchée ; l'essentiel y manque encore, le souci direct, passionné et constant de la nation elle-même pour sa propre sécurité, la discussion publique et le contrôle public des méthodes qui doivent le mieux la procurer. Il ne s'agit pas de livrer à l'ennemi le secret de tel ou tel plan de campagne, plus ou moins élaboré et d'une application d'ailleurs incertaine. Il s'agit de déterminer l'idée générale d'une stratégie qui permette à la nation armée de développer toute sa force défensive. La stratégie d'un peuple est aussi inséparable que son organisation militaire de son