Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/90

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conserver à la France cette Alsace qui sera, un siècle plus tard, le boulevard tout ensemble et le poste avancé de la Révolution.

Pourquoi me suis-je attardé à ces souvenirs ? Est-ce pour le plaisir amer de revoir un moment, à travers la brume des récents désastres et des imbécillités sinistres, cette glorieuse et déjà lointaine lumière ? Est-ce pour revivre un instant ce beau drame de pensée et de volonté françaises qui, toujours, je l'avoue, quand je me le représente à nouveau, me fait battre le cœur ? C'est une leçon aussi que j'y veux chercher ; surtout j'ai peur, à lire les formules de nos récents écrivains militaires, qu'un dogmatisme tranchant et abstrait et une sorte de pédantisme napoléonien n'appauvrissent pour eux les leçons variées de la vie, les multiples émotions et les enseignements presque infinis de l'histoire. Ii n'est pas démontré, encore une fois, que le jour où la France aurait à défendre, à disputer pied à pied, région par région, le sol envahi, elle ne pourrait mettre en valeur la force propre du terrain comme la mobilité des hommes. Combiner la résistance soudaine de camps improvisés et savamment établis avec le mouvement infatigable du peuple entier résolu à ne pas périr, ce serait sans doute une géniale et complexe entreprise dont il serait imprudent de trop discréditer a priori un seul terme. Il n'y a jamais, dans l'histoire, de recommencements absolus. La défense vraiment scientifique de la France démocratique et partiellement socialiste du commencement du vingtième siècle ne saurait ressembler pleinement à aucune entreprise antérieure. L'histoire est merveilleusement utile quand on l'étudie dans sa diversité, dans son perpétuel renouvellement et dans sa perpétuelle invention ; elle nourrit et stimule l'esprit par des exemples qu'il tente de résumer en lois, toujours provisoires d'ailleurs, et conditionnelles ; mais elle l'avertit aussi que l'action ne peut jamais sans péril se réduire à une copie, et elle l'affranchit de toute imitation servile par son infinité même et par son mouvement.