Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/92

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forcer indiscrètement le sens des paroles de Carnot revendiquant pour la France débarrassée des monarchies, pour la France éternelle, le grand capitaine dont les restes étaient transférés de l'abbaye dévastée de Saint-Denis au temple révolutionnaire de Mars ; c'est pour affirmer la vérité durable de tout ce qui fut sincère ; c'est pour maintenir ouvertes toutes les sources de vie morale et de pensée où l'âme d'une grande nation doit se renouveler sans cesse et non point se pétrifier.

Plus dangereux encore, dans l'ordre militaire et pour l'éducation de la défense nationale, est le refoulement napoléonien de la Révolution française, rejetée â un arrière-plan confus et réduite à n'être que la préparation chaotique d'une formule de guerre qui, en Napoléon seul, a eu sa force et son achèvement. C'est du commencement du XIXe siècle, c'est du Consulat et de l'Empire que le capitaine Gilbert date la souveraine méthode de combat et de victoire que la France doit reprendre. Gilbert, il est vrai, reconnaît que c'est la Révolution qui a suscité le monde nouveau dont la tactique napoléonienne est la formule militaire. C'est elle, en sa première forme toute populaire et instinctive, qui a imaginé les libres et hardis mouvements de masse et, dans ces mouvements de masse rapides et impétueux, la libre et vive allure des bataillons et des individus eux-mêmes. Elle a créé tout ensemble les effets de masse et les effets d'initiative. Elle a concentré tout à la fois et desserré les forces. Dumouriez, Carnot annoncent et préparent Bonaparte. Tout cela, Gilbert le sait, en effet, et il le dit sans appuyer pourtant. Dans cette apparente équité, il y a une grande injustice et une redoutable erreur. Bonaparte, dans l'ordre militaire comme dans l'ordre politique, n'a pas accompli et consommé la Révolution : il l'a diminuée en tout sens. Même dans l'interprétation la plus bienveillante de son œuvre, même si on suppose qu'il n'a abaissé la Révolution que pour sauver quelques-uns de ses résultats essentiels d'un double péril d'anarchie et de réaction extrême qui aurait tout emporté,