Page:Jean Charles Houzeau - La terreur blanche au Texas et mon évasion, 1862.djvu/77

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Demain, à la première aube du jour, commencera cette scène finale, dont je vous ferai le récit plus tard, si moi aussi Dieu me protège. S’il doit en être autrement, que mes amis se souviennent de moi quelquefois. Au milieu d’un monde de lucre, dont les passions d’avarice ne connaissent point de retenue ni de pudeur, je ne me suis pas laissé souiller. J’ai conservé pures mes traditions de probité et de délicatesse. J’ai encore la faiblesse de croire que l’homme a des devoirs, non-seulement des devoirs purement personnels, mais aussi des devoirs d’humanité. J’ai la faiblesse d’avoir foi dans le progrès, dans le succès des causes justes, dans l’idée morale. Et je m’en vais demain, ayant perdu mon temps, mes efforts, mon avoir, presque incertain de mon pain, et cependant plus satisfait au fond du cœur et plus content de moi-même que je ne fus jamais après le plus flatteur de mes petits succès littéraires. Ces mots de l’éloge de Bailly par Arago me reviennent souvent : « L’académicien Cousin, portant à la veuve de Bailly un pain sous son bras, méritait autant de l’humanité que s’il eût écrit un beau mémoire.»

Il y a des situations que l’on ne peut comprendre, lorsqu’on n’a rien vu de ressemblant. Mme Roland dit quelque part : « J’avais toujours douté que Marat fût un être subsistant. » Les classes sociales ont aussi bien que les individus leurs excès qui nous étonnent. Emportées jusqu’au délire, colères jusqu’à la cruauté, elles s’abandonnent à la passion du moment, sans frein, sans limite. Elles semblent assouvir une rage brûlante. Le spectateur éloigné doute de la réalité des faits. Qu’il jette les yeux autour de lui, et qu’il juge par analogie.