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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/372

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il y faut joindre la générosité de l’âme qui exerce la miséricorde sans chagrin ; ce n’est pas assez dire, sans chagrin, mais avec une joie qui éclate et qui brille : ce n’est pas la même chose que l’absence du chagrin et la joie. Ce conseil, il l’a aussi donné avec beaucoup de soin dans ce qu’il écrit aux Corinthiens ; pour les exciter à la libéralité, il leur disait : « Celui qui sème peu, moissonnera peu ; celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance » (2Cor. 9,6, 7) ; et il ajoutait, pour diriger l’âme : « Donner, non avec tristesse, ni comme par force ». Car il faut à la miséricorde ces deux caractères, et qu’elle soit abondante, et qu’elle se fasse avec plaisir. Pourquoi vos gémissements en faisant l’aumône ? Pourquoi la peine que vous cause la miséricorde, pourquoi perdre le fruit de votre bonne action ? Si vous trouvez la miséricorde pénible, vous n’êtes pas miséricordieux, mais dur et sans humanité. Si c’est vous que vous plaignez, comment pourrez-vous soulager le malheureux qui est dans la douleur ? Ce qu’il faut désirer c’est que l’infortune ne conçoive aucun mauvais soupçon, même alors que votre don est fait avec joie. Rien en effet ne semble aussi honteux à l’homme que de recevoir, à moins que la joie manifeste de celui qui donne nepré vienne tout soupçon ; si vous ne montrez pas que vous recevez plus que vous ne donnez, vous accablerez plus que vous ne soulagerez celui à qui votre don s’adresse. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ».
2. Quel roi monte sur le trône avec un visage morne ? quel pécheur recevant la rémission de ses péchés, demeure dans l’abattement ? Ne faites donc pas attention à votre dépense, mais à ce qui vous ménage cette dépense, au revenu. Si le semeur se réjouit, quelque incertaine que soit la moisson qu’il sème, à bien plus forte raison celui qui ensemence le ciel. Soyez joyeux, et si peu que vous donniez vous donnerez beaucoup ; de même, soyez triste et donnez beaucoup, de ce beaucoup vous aurez fait peu de chose. La veuve avec ses deux oboles fit plus que d’autres qui avaient peut-être donné des talents : tant son cœur était généreux. Mais comment, direz-vous, le pauvre réduit à là dernière indigence, peut-il tout dépenser avec joie ? Interrogez la veuve, et vous verrez que l’étroitesse du cœur vient de la volonté qui l’anime et non de la pauvreté, et qu’il en est de même pour la vertu, contraire : le pauvre peut avoir le cœur grand, le riche peut l’avoir petit. Voilà pourquoi l’apôtre demande dans l’aumône, la simplicité ; dans la miséricorde, la joie ; dans la conduite de ses frères, le zèle. Car il ne veut pas que nous nous contentions de soulager les pauvres de notre argent, il veut que nous les servions de nos paroles, de nos actions, de nos personnes, de tout ce que nous avons encore outre tout cela, sans rien excepter. Après avoir parlé de l’assistance la plus importante, de celle qui s’exerce par l’enseignement, de celle qui s’exerce par l’exhortation, (car c’est là la plus nécessaire, d’autant plus qu’elle donne à l’âme sa nourriture), l’apôtre arrive à l’assistance avec de l’argent et par tous les autres moyens.
Ensuite, pour éclairer la pratique de toutes ces vertus, il en montre la mère, qui est la charité. Car il dit : « Que votre charité soit sincère (9) ». Si vous avez cette sincérité, vous ne sentirez pas la dépense, la fatigue du corps, l’ennui de parler ; vous supporterez les sueurs, les peines du ministère ; vous accorderez tout généreusement, quelle que soit la nature du secours qu’il faille porter, soit de votre personne, soit de votre argent, soit par vos paroles, soit par tout autre moyen, à votre prochain. Et maintenant, de même que l’aumône ne suffit pas à l’apôtre, sans la simplicité ; ni l’assistance sans le zèle ; ni la miséricorde, sans la joie, de même il ne lui suffit pas de la charité ; il veut qu’elle soit sincère, car c’est en cela que consiste la charité ; et, si elle se présente, tout le reste l’accompagne. En effet le miséricordieux l’est avec joie, car c’est à lui-même qu’il fait miséricorde ; celui qui conduit les autres, les conduit avec vigilance, car c’est lui-même qu’il conduit ; et celui qui fait l’aumône, la fait avec libéralité, car c’est à lui-même qu’il donne. Ensuite, comme il y a, même pour mal faire, des amitiés comme celles des libertins ou de ceux qui s’accordent dans les commerces d’argent et dans les rapines, ou de ceux qui s’enivrent ensemble dans les festins ; l’apôtre, pour préserver les fidèles de ces souillures, dit : « Abhorrant le mal ». Il ne dit pas : Vous détournant du mal, mais : Haïssant, et, plus que haïssant ; l’apôtre dit. Haïssant d’une haine violente, « Abhorrant ». C’est là le sens