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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/525

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Voilà pourquoi notre saint et sage cultivateur a bien soin de nettoyer notre ruche, sans avoir besoin de serpe, ni de tout autre instrument de fer : il nous invite à recevoir l’essaim spirituel, et pour le rassembler en nous, il nous purifie par la prière, le travail, et autres moyens. Voyez comment il nettoie notre cœur : il en a banni le mensonge, il en a banni la colère. Après cela, il nous indique un moyen de déraciner plus efficacement le mal : c’est d’avoir l’âme sans amertume. Quand notre bile est peu abondante, la rupture même de son réservoir n’occasionne que peu de désordres. Mais devient-elle plus abondante et plus âcre, alors le réceptacle qui la contenait devient insuffisant ; comme si un feu rongeur le consumait, il ne peut plus conserver son dépôt, le maintenir dans les bornes prescrites ; cédant enfin à l’insupportable âcreté qui le mine, il s’ouvre et laisse échapper son contenu dans tout le corps qui en est bientôt infecté. De même une bête farouche et cruelle peut parcourir une ville sans danger pour les habitants, quels que puissent être et sa rage et ses cris, tant qu’elle reste emprisonnée dans sa cage : mais si, dans un accès de fureur, elle réussit à briser les barreaux qui la retiennent et à s’échapper, elle remplit toute la cité de tumulte et de confusion, et fait fuir tout le monde. Il en est ainsi du fiel : tant qu’il reste dans les limites qui lui sont assignées, il ne nous fait pas grand mal ; mais vient-il à rompre la membrane qui l’enferme, et à se délivrer du seul obstacle qui l’empêchait de se répandre dans tout notre être, alors, quelque faible qu’en soit la quantité, la force propre à ce venin communique à tous nos organes sa malignité. Bientôt, rencontrant le sang, son voisin et presque son semblable, il en aigrit l’ardeur, et transforme ainsi, grâce à l’analogie qui lui permet de s’y confondre, en nouveaux fiels tous les liquides environnants : ensuite, muni de ce renfort, il marche à l’attaque des autres parties du corps ; et après avoir ainsi tout corrompu à son image, il ôte au malade la parole et le souffle avec la vie. Mais où veux-je en venir avec cette longue description ?

Je veux que cette peinture des effets de l’amertume matérielle nous fasse comprendre ce qu’a de pernicieux l’amertume morale, comment sa première influence consiste à infecter complètement l’âme où elle prend naissance, à la bouleverser de fond en comble ; et que nous apprenions par là à craindre d’en faire l’expérience. Si l’une irrite le corps entier, l’autre enflamme toutes nos pensées, et finit par précipiter dans l’enfer celui qui en est atteint. Si donc nous voulons éviter ce fléau, bien instruits désormais, si nous voulons brider cette bête féroce, ou plutôt l’exterminer, croyons-en Paul qui nous dit : « Toute amertume », non pas : soit nettoyée, mais « soit bannie du milieu de vous ». Qu’ai-je besoin de peines et de précautions ? Pourquoi garder cette bête quand je peux la chasser de mon âme, l’exiler, la déporter au-delà de mes frontières ? Croyons-en donc Paul qui nous dit : « Que toute amertume soit bannie d’au milieu de vous ». Mais, hélas ! quelle perversité est la nôtre ! quand nous ne devrions rien négliger pour cela, il y a des gens assez fous pour triompher de cet état, pour s’y complaire, s’en faire honneur ; et les autres lui portent envie… Un tel a du fiel, dit-on ; c’est un scorpion, un serpent, une vipère ; on le juge redoutable… Pourquoi craindre ce fiel, mon ami ? Il peut me nuire, dit-on, me faire du mal ; je ne sais point de quoi est capable la méchanceté de cet homme : je crains que trouvant en moi un homme simple, mal prémuni contre ses artifices, il ne me fasse tomber dans ses pièges, et ne me prenne dans les filets qu’il a tendus pour m’envelopper. Il y a de quoi rire. Comment donc ? Oui, c’est ainsi que parlent les enfants, prompts à s’alarmer de ce qui n’a rien de terrible. Il n’est rien qui mérite le dédain et la risée comme un homme qui a du fiel, comme un méchant. Car il n’y a rien d’impuissant comme l’amertume : elle ne fait que des sots et des insensés. 2. Ne voyez-vous pas que la méchanceté est chose aveugle ? n’avez-vous pas entendu parler de l’homme qui tombe dans la fosse creusée par lui pour le prochain ? Mais comment ne pas craindre une âme agitée de telles passions ? Si vous entendez que les hommes qui ont du fiel doivent inspirer la même crainte que les fous, les démoniaques, les insensés, qui tous agissent également au hasard, j’en tombe d’accord avec vous : mais si vous voyez en eux d’habiles gens, c’est ce que je ne puis admettre. En effet, rien n’est aussi indispensable pour la conduite des affaires, que l’intelligence : et l’intelligence ne connaît pas d’obstacle aussi