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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/555

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leur aura fait de mal ou de bien, il le recevra du Seigneur. S’il faut aimer sa femme, c’est moins en vue d’elle-même, qu’en vue du Christ. C’est ce que l’apôtre indique par ces mots : « Comme au Seigneur ». Que votre conduite soit donc en tout celle d’un homme qui obéit au Seigneur et fait tout en vue de lui : Voilà le moyen de gagner le cœur, de persuader, d’empêcher toute querelle et toute discorde. Que la femme n’ajoute foi à aucune dénonciation contre son mari. Que le mari ne croie pas inconsidérément et à la légère ce qu’on lui dit contre sa femme ; que celle-ci ne scrute pas avec curiosité les allées et venues de son mari, qui, de son côté, ne doit donner matière à aucun soupçon. Dis-moi, crois-tu qu’en te livrant tout le jour à tes amis, et ne paraissant que le soir auprès de ta femme ; tu pourras contenter son affection, écarter de son esprit la défiance ? Si elle se plaint, ne t’en fâche pas ; car ses plaintes prouvent sa tendresse, non son exigence : ce sont les cris d’un amour ardent qui craint qu’on ne lui ait ravi son bonheur, le premier de ses biens ; qu’on ne lui ait enlevé son chef, qu’on n’ait attenté à ses droits.

Ces craintes pusillanimes peuvent aussi avoir une autre raison ; il ne faut pas montrer une affection excessive pour ses serviteurs, pour les femmes en ce qui concerne le mari, pour les hommes en ce qui concerne la femme ; car c’est souvent un motif de défiance. Veuillez vous représenter la conduite des justes. Sara, elle-même, invitait le patriarche à prendre Agar ; Sara l’en pressait, personne ne pouvait vaincre la résistance d’Abraham ; bien que parvenu à l’extrême vieillesse sans avoir d’enfants, il aimait mieux ne devenir jamais père que de chagriner sa femme. Néanmoins, quand tout fut accompli, que dit Sara ? « Que Dieu juge entre moi et toi ». Est-ce que, si Abraham avait été un homme comme un autre, il ne se serait pas mis en colère ? Est-ce qu’il n’aurait pas levé la main en disant, ou à peu près : Que dis-tu ? Je ne voulais pas avoir commerce avec cette femme : c’est toi qui l’as voulu, et voici que tu me fais des reproches ? Mais il ne dit rien de pareil ; il dit seulement : « Voici cette servante entre tes mains, fais-en ce que tu jugeras à propos ». Il livra la compagne de sa couche, pour ne pas affliger Sara. Et pourtant il n’est pas d’union qui crée un lien aussi fort. En effet, s’il suffit d’une réunion à table pour réconcilier des brigands mêmes avec leurs ennemis (le Psalmiste dit « Toi qui goûtais avec moi les douceurs du repas »), à plus forte raison l’union de deux personnes en une seule chair (car c’est ce qui arrive pour celles dont la couche est commune), est-elle propre à faire naître l’affection. Aucune de ces considérations, néanmoins, ne triompha du juste : il céda à sa femme, montrant ainsi qu’il n’était pour rien dans ce qui s’était passé ; et, qui plus est, il renvoya Agar, enceinte. Qui n’aurait pitié d’une femme enceinte de ses œuvres ? Néanmoins, le juste ne faiblit pas ; car il faisait passer avant tout l’amour qu’il portait à sa femme.

7. Sachons l’imiter. Que l’un des époux, s’il est plus riche, ne reproche pas à l’autre sa pauvreté. L’amour de l’argent perd tout. Que la femme ne dise pas à son mari : Homme timide et lâche, esprit paresseux et somnolent, tel autre à côté de toi, malgré la bassesse de sa naissance et de sa position, à force de périls bravés et de voyages entrepris, est parvenu à ramasser de grandes richesses ; sa femme, couverte d’or, parcourt la ville dans un beau char attelé de mules blanches, traînant après elle une troupe d’esclaves et d’eunuques ; et toi, tu n’es qu’un poltron, et ta vie est complètement inutile. Non, qu’une femme n’aille pas tenir ce langage, ni un langage pareil ; car elle est le corps, non pour commander au chef, mais pour lui céder et lui obéir. Et comment donc, dira-t-on, supportera-t-elle la pauvreté ? Où trouvera-t-elle des consolations ? Qu’elle se représente celles qui sont plus pauvres qu’elle ; qu’elle compte combien de filles nobles, loin de rien recevoir de leurs maris, les ont enrichis et se sont ruinés ; qu’elle songe aux périls qui accompagnent la richesse : et une vie libre d’affaires lui paraîtra le bonheur même. Mais à tout prendre, si elle aime son mari, elle ne lui dira rien de pareil ; elle aimera mieux l’avoir auprès d’elle, pauvre comme il est, que de posséder dix mille talents d’or, au prix des soucis, des inquiétudes, que les voyages causent toujours aux femmes. D’autre part, que le mari, importuné de ces reproches, ne se prévale pas de son autorité pour en venir aux injures et aux coups : qu’il exhorte, qu’il conseille, qu’il raisonne avec elle comme avec un esprit plus faible que le sien, que jamais il ne lève la main ; cela répugne à une âme libre : pas même d’injures