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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/606

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« De sorte que Barnabé même se laissa aller, lui aussi, à user de cette dissimulation (13) ». Ne vous étonnez pas s’il appelle cela de la dissimulation ; il ne veut pas, comme je l’ai déjà dit, dévoiler le fond de sa pensée, afin de redresser les Juifs convertis. Comme ils étaient encore singulièrement attachés à la loi, il traite de dissimulation la conduite de Pierre, et lui en fait de vifs reproches, afin de briser complètement les liens qui les maintenaient sous le joug de la loi. Pierre entend cela et feint de se trouver en faute, pour que les reproches qu’il s’attire servent à redresser les autres. Si Paul avait adressé ses réprimandes aux Juifs convertis, ils en auraient été indignés et en auraient fait fi ; car ils ne le tenaient pas en très-grande estime. Tandis qu’en voyant leur maître garder le silence devant les reproches de Paul, ils n’étaient plus en droit de résister aux injonctions de cet apôtre et de les dédaigner.
« Mais quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit, suivant la vérité de l’Évangile (14) »… Que cette expression ne vous trouble pas non plus : il ne dit pas cela pour condamner Pierre, mais s’il se servait d’une expression aussi énergique, c’est que cela était utile, et que, ceux qui l’écoutaient devaient faire leur profit des reproches adressés à Pierre, et en prendre occasion pour devenir meilleurs… « Je dis à Pierre devant tous ». Voyez-vous quelle leçon pour les autres ? II prononce ces mots : « Devant tous. », afin d’effrayer ceux qui l’entendent. Qu’as-tu à répondre, dis-moi ? « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit obliges-tu les gentils à judaïser ? » Et cependant ce n’étaient pas les gentils qui s’étaient réunis avec lui, mais les Juifs. Pourquoi donc, ô Paul, reprocher ce qui n’est pas arrivé ? pourquoi ne pas parler des Juifs qui usaient de dissimulation, mais des gentils ? pourquoi vous en prendre au seul Pierre, quoique les autres eussent imité sa dissimulation ? Voyons ce qu’il lui reproche : « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit forces-tu les gentils à judaïser ? » Et cependant Pierre se retirait, tout seul et sans entraîner avec lui les gentils convertis. Où Paul veut-il donc en venir ? À empêcher qu’on ne soupçonne le but de ses reproches. S’il avait dit : Tu as tort d’observer la loi, les Juifs convertis l’auraient blâmé et auraient trouvé qu’il parlait avec arrogance à leur maître. Mais s’il se plaint de Pierre, c’est pour défendre et justifier ses propres disciples, je parle des gentils, et c’est par ce moyen qu’il fait accepter ses paroles. Et ce n’est pas seulement par ce moyen, mais encore, c’est en écartant le reproche de tous les disciples, Juifs ou gentils, pour le reporter tout entier sur Pierre. « Toi », dit-il, « qui es Juif, tu vis à la manière des gentils, et non à la manière des Juifs ». N’est-ce pas à peu près comme s’il disait franchement : Imitez votre maître, puisqu’il vit à la manière des gentils, tout Juif qu’il est ? Il se garde bien toutefois de parler ainsi : car les disciples Juifs auraient rejeté ses paroles ; mais, en feignant de reprocher à Pierre sa conduite à l’égard des gentils, il dévoile la vraie pensée de cet apôtre. D’un autre côté s’il avait dit : Pourquoi contrains-tu les Juifs à judaïser ? son insistance aurait déplu. Tandis qu’en paraissant se préoccuper seulement des gentils et non des Juifs, il amène ceux-ci à de meilleurs sentiments. Car le meilleur moyen de faire accepter la critique, c’est d’en écarter ce qui peut indisposer celui à qui elle s’adresse. Les gentils ne pouvaient faire un crime à Paul de son intervention en faveur des disciples Juifs. Pierre fit réussir entièrement cette combinaison par son silence et par sa résignation à accepter le reproche de dissimulation, ce qui lui permettait de cacher aux Juifs la vraie dissimulation dont il était convenu avec Paul.
D’abord Paul ne s’adresse qu’à la personne de Pierre : « Si toi qui es Juif… » – plus loin il donne plus de latitude à sa parole, se met lui-même en cause et s’exprime ainsi : « Nous qui sommes Juifs par notre naissance, et non du nombre des gentils qui sont des pécheurs (15) ». Ces paroles sont une exhortation à laquelle l’apôtre a ajouté un mot de blâme par ménagement pour les Juifs.
6. Il s’agit de cette manière dans une autre circonstance où il a l’air de parler d’une manière tandis qu’il prépare autre chose ; comme lorsqu’il dit dans son épître aux Romains : « Maintenant je vais à Jérusalem pour me mettre au service des saints ». (Rom. 15,25) Son intention n’était pas de leur dire ni de leur apprendre simplement pourquoi il se rendait à Jérusalem ; mais il voulait les exciter à se montrer eux aussi charitables. Car s’il n’avait voulu que leur faire connaître le motif de