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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/96

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cœur ; c’est dans vos propres cœurs que vous êtes à l’étroit ». Un objet suffit pour les remplir ; le nôtre contient votre ville entière et son peuple. Il ne dit pas : Vos cœurs ne peuvent nous contenir ; mais : « Vous avez des cœurs trop étroits » ; c’est la même pensée qu’il exprime en termes adoucis, pour ne point les blesser.
« Or, vous avez les mêmes récompenses que nous ; c’est pourquoi, et je vous parle comme si vous étiez mes enfants, dilatez aussi vos cœurs (13) ». Il y a plus de mérite à aimer le premier, qu’à payer de retour. L’amour fût-il égal de part et d’autre, la priorité suffit pour donner l’avantage. Mais je ne veux pas être trop exigeant, dit-il ; il me suffit, pour vous aimer, pour vous chérir, que vous me témoigniez quelque bienveillance en retour de l’affection que je vous porte. Ensuite, pour leur montrer qu’ils y sont tenus, pour écarter tout soupçon de flatterie, il ajoute : « Je vous parle, comme si vous étiez mes enfants ». Qu’est-ce à dire : « Comme si vous étiez mes enfants ? » Il n’y a rien d’étonnant que, me regardant comme vôtre père, je veuille, être aimé de vous. Quelle prudence ! quelle modestie ! Il ne rappelle ni les dangers qu’il a courus pour eux,-ni les fatigues qu’il a supportées, ni la mort qui le menaçait – chaque jour, et tant d’autres – actes de dévouement, tant il craint de paraître orgueilleux ! Mais s’il exige leur affection, c’est qu’il les aime lui-même le premier. Je suis votre père, dit-il, parce que j’ai pour vous la plus vive affection. N’est-ce pas offenser son ami, que de lui rappeler les bienfaits dont il a été l’objet ; il y a là comme un reproche. Aussi l’apôtre se garde-t-il bien de rappeler le passé ; aimez-moi comme un père, leur dit-il ; il ne leur demande donc rien que de naturel, et ce que tout enfant doit à l’auteur de ses jours. Et ce n’est point son propre intérêt qu’il a en vue, mais uniquement le leur. Aussi ajoute-t-il : « Ne tirez pas le même joug avec les infidèles… « (14) ».
Il ne dit pas : ne vous mêlez point avec les infidèles ; il emploie un terme plus énergique, pour leur faire sentir qu’ils vont contre la justice. Ne vous avilissez point. « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? » Ce n’est point son affection qu’il compare avec l’affection de ces hommes qui corrompaient les Corinthiens ; mais la noblesse des Corinthiens qu’il met en regard de l’ignominie de leurs corrupteurs. Ainsi donnait-il plus de force à son discours, ainsi relevait-il sa mission, ainsi se les conciliait-il de plus en plus. C’est le langage que l’on tiendrait à un fils plein de mépris pour ses parents, et tout entier livré à des scélérats qui le perdent ! Que fais-tu, mon enfant ? Tu méprises ton père, tu lui préfères des scélérats, ries hommes plongés dans les vices les plus honteux ? Ne vois-tu pas combien tu l’emportes sur eux en probité et en noblesse ? Ainsi on le tirera bien mieux de la société des pervers qu’en lui faisant l’éloge de son père. Qu’on lui dise par exemple : Ne sais-tu pas que ton père vaut bien mieux que ces hommes-là ? On produira sui lui moins d’effet. Mais ne lui parlez pas de son père, et dites-lui Ignores-tu qui tu es ? Né songes-tu donc plus ni à ta noblesse, ni à ta naissance, ni à leur déshonneur ? Comment peux-tu t’adjoindre à des voleurs, à des adultères, à des charlatans ? Louez-le de la sorte ; vous lui donnez pour ainsi dire des ailes, et il prend son essor loin de la société des méchants. Lui parler autrement, faire l’éloge de son père, c’est lui préférer son père, c’est le blâmer d’accabler de chagrin non pas un père quel qu’il soit, mais un pépé doué de tant de qualités. Si vous louez cet enfant lui-même, vous n’avez plus rien à craindre. Il n’est personne qui n’aime les louanges : les louanges font accueillir les reproches ; cet enfant cédera aux avis qu’on lui aura donnés, il concevra de nobles sentiments, et repoussera désormais la société des hommes pervers. C’est donc une belle comparaison que vient d’employer l’apôtre ; mais voici quelque chose de plus admirable encore, une pensée bien propre à inspirer une terreur salutaire. D’abord il procède par interrogation : c’est la forme que l’on donne aux pensées claires et évidentes ; ensuite il emploie l’accumulation, pour faire mieux ressortir son idée. Ce n’est pas un ou deux ou trois noms seulement, mais un plus grand nombre qu’il met en regard ; il personnifie les choses ; d’un côté il nous montre la vertu dans sa perfection, de l’autre le vice dans toute sa laideur. Entre l’un et l’autre il fait voir une différence infinie, en sorte que toute preuve devient inutile : « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Bélial ? Quel partage entre le fidèle et l’infidèle ?