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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/133

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le plus grand préjudice s’il persévère dans sa haine, il veut qu’il renonce à ce ressentiment, car ce sera le moyen pour lui d’éteindre ces charbons ardents. Ainsi, l’expectative du châtiment qui doit punir l’un et venger l’autre entraîne l’offensé à faire du bien à son agresseur, et en même temps elle effraye ce dernier, le met sur ses gardes et le pousse à la réconciliation avec celui dont il a reçu nourriture et boisson. L’Apôtre a donc trouvé un double lien pour les rapprocher : celui de la bienfaisance et celui de la vengeance. C’est que le point difficile est de commencer ; c’est de trouver une introduction à la réconciliation : la voie une fois ouverte, n’importe de quelle manière, tout ce qui suivra sera facile et aisé. Bien que celui qui a souffert l’injure nourrisse d’abord son ennemi dans l’espoir que ce dernier sera puni, comme cet acte même de le nourrir fera du bienfaiteur un ami, celui-ci deviendra capable de rejeter le désir de se voir vengé ; car, d’ennemi étant devenu ami, ce ne pourrait plus être dans la même attente qu’il nourrirait désormais celui qui s’est réconcilié avec lui. Et d’autre part l’agresseur, voyant sa victime se résoudre à lui donner à boire et à manger, est à la fois touché par ce fait même et effrayé du châtiment qui lui est réservé : il renonce donc à toute haine, fût-il mille et mille fois de fer, de roc, et dépourvu d’entrailles ; car il est confondu de voir la bonté de celui qui lui donne la nourriture, et il redoute la punition qui lui reviendra si, après avoir été nourri par lui, il continue à le haïr.

C’est pourquoi saint Paul ne s’en tient pas encore là dans son exhortation ; mais qu’après avoir éteint le ressentiment de l’un et de l’autre, il rectifie leur intention, en disant : Ne vous laissez point vaincre par le mal. (Rom. 12,21) Car si tu continues, veut-il dire, à garder rancune et à te venger, tu as l’air de vaincre ton ennemi, mais en réalité tu es vaincu par le mal, c’est-à-dire par le ressentiment ; ainsi donc, si tu veux être vainqueur, réconcilie-toi, et ne recommence pas les attaques. Car la victoire éclatante consiste à vaincre le mal par le bien, c’est-à-dire par le support du mal, rejetant la colère et le ressentiment. Mais l’homme offensé n’aurait pu, dans son effervescence, supporter tout d’abord de telles paroles. Aussi n’est-ce qu’après avoir donné satisfaction à cette fougue que saint Paul amène cet homme jusqu’au motif le plus parfait de la réconciliation : il ne permet pas qu’il demeure dans ce coupable espoir de se voir vengé. Voyez-vous bien maintenant la sagesse du législateur ? Et pour vous montrer qu’il a formulé cette loi à cause de la faiblesse des gens qui sans cela n’auraient pas eu le courage de se rapprocher, écoutez comment Jésus-Christ, en donnant le même précepte, s’est gardé d’y attacher la même récompense. Après avoir dit : Aimez vos ennemis, faites dit bien à ceux qui vous haïssent (Mat. 5,44), ce que l’on fait lorsqu’on leur donne à manger et à boire, il n’a pas ajouté car en agissant de la sorte vous amasserez des charbons ardents sur leur tête ; qu’a-t-il ajouté ? Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans cieux. Cela devait être : car il s’entretenait alors avec Jacques et Jean, et le reste du collège apostolique, et c’est pourquoi il leur propose cette récompense. Que si vous dites que le précepte est pénible, même à ces conditions, d’abord vous ne faites que mieux justifier le langage de saint Paul ; et puis, vous vous enlevez à vous-même toute excuse. Comment cela ? C’est que le commandement que vous trouvez pénible, je vais vous le montrer observé dans l’Ancien Testament, alors qu’une sagesse aussi grande n’était pas encore dévoilée. Car saint Paul n’a pas énoncé cette loi dans des termes à lui, mais il a employé les propres expressions dont s’était servi celui qui l’avait autrefois formulée ; et c’est pour ne laisser aucune excuse à ceux qui ne l’observent pas.

En effet, cette parole : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire, n’est pas primitivement de saint Paul, mais de Salomon. (Pro. 25,21-22) Il a donc employé les mêmes termes, pour persuader à son auditeur que c’est le comble de la honte de regarder comme pénible et à charge, aujourd’hui qu’elle est élevée à un tel degré de sagesse, une loi ancienne et souvent pratiquée par les hommes d’autrefois. Et qui, direz-vous, l’a pratiquée parmi les anciens ? Entre beaucoup d’autres, David surtout, avec une plus grande supériorité. Il ne s’est pas contenté de donner à manger et à boire a son ennemi, mais à diverses reprises, quand cet ennemi était en péril, David l’a arraché à la mort ; il était maître de l’égorger, et il s’en est abstenu, une première fois, une seconde, et plus tard encore. Depuis qu’il avait comblé Saül de bienfaits, remporté de si éclatantes victoires et sauvé le peuple en tuant Goliath, Saül le haïssait tant, il avait pour