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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/381

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destinée et les faits allaient à l’encontre de la parole divine. Car il lui avait été promis en – songe que ses frères se prosterneraient devant lui. Deux rêves le lui avaient annoncé clairement : l’un, par la vision des astres ; l’autre, par la vision des gerbes de blé ; mais les événements qui survinrent ensuite démentaient complètement ces promesses. En effet, ces visions eurent pour premier effet d’exciter une guerre violente sous le toit paternel : ses frères, ces fils d’un même père, violant les lois du sang, déchirant les liens de l’amour fraternel, renversant l’ordre même de la nature, devinrent ses adversaires, et ses ennemis, et eurent pour lui, à l’occasion de ces songes, une cruauté plus grande que celle des loups. Comme des bêtes farouches et indomptables, qui auraient enlevé un agneau, ils lui dressaient sans cesse des embûches. Une haine insensée et une jalousie odieuse étaient la cause de cette guerre : bouillants de colère, chaque jour ils respiraient le meurtre, et l’envie allumait en eux comme une fournaise ardente, d’où s’élançait la flamme. Mais, comme ils ne pouvaient lui faire aucune violence, parce qu’il restait dans la maison paternelle auprès de Jacob et de Rachel, ils attaquèrent sa réputation, ils lui firent une renommée honteuse, ils lui intentèrent d’odieuses accusations, pour lui enlever ainsi l’amour de son père et le faire tomber plus facilement dans leurs piégés. Ensuite, l’ayant surpris loin des yeux de Jacob, lorsqu’il venait leur porter leur nourriture dans le désert et s’informer de leur état, sans tenir compte du motif qui l’amenait vers eux, sans rougir de honte en voyant qu’il leur apportait leur nourriture, ils tirèrent leurs épées, s’apprêtèrent à l’égorger et à devenir fratricides. Cependant ils n’avaient aucun reproche, ni petit, ni grand, à lui adresser ; mais cette vertu même, qui aurait dû les porter à l’honorer et à le glorifier, ne leur inspirait qu’une inimitié jalouse et pleine de dénigrement. Joseph, malgré leur jalousie, loin d’éviter leur commerce, gardait toujours des dispositions fraternelles pour ceux qu’aveuglait une telle méchanceté : eux au contraire, malgré son affection pour eux, entreprirent de le tuer, et, autant qu’il fut en eux, ils le tuèrent, ils ensanglantèrent leurs mains, ils furent fratricides. Mais l’infinie sagesse de Dieu, qui marche à l’aise dans les sentiers impraticables, dans les abîmes eux-mêmes et jusque dans les voies de la mort, l’arracha de leurs mains sacrilèges. L’un des frères ouvrit l’avis qu’il ne fallait pas se souiller d’un tel sang. Dieu persuada les autres, et arrêta le meurtre. Cependant Joseph ne vit pas s’arrêter là le cours de ses malheurs quelle longue carrière d’épreuves, il avait encore à parcourir ! Après que Dieu eut empêché ses frères de l’immoler, comme leur cœur respirait encore la colère et que la tempête de leurs passions était encore dans toute sa force, ils ouvrirent à leur vengeance une nouvelle voie : ils dépouillèrent leur frère, le lièrent, le jetèrent dans une fosse, les cruels les inhumains ! les barbares ! Ensuite ils mangèrent les aliments qu’il leur avait apportés, et, tandis que jeté dans la fosse il craignait pour sa vie, eux faisaient bonne chère et s’enivraient.
Leur démence alla plus loin encore : ayant vu des étrangers d’un pays très ; éloigné du leur qui se rendaient en Égypte, ils leur vendirent leur frère, et lui préparèrent ainsi une autre mort, plus longue, plus cruelle et pleine de misère. Car il était jeune ; tout à fait jeune, il avait été élevé avec une grande liberté sous le toit paternel, il n’avait jamais subi ni la servitude, ni les maux de la servitude : aussi vois ce qu’il dut souffrir, lui qui tout à coup de libre devint esclave, de citoyen, étranger, et supporta le plus dur esclavage. Mais l’esclavage ce n’était pas tout encore : le voilà arraché à son père, à sa mère, à toute sa famille, nu, étranger, sans patrie, sans cité, livré par sa condition d’esclave à des mains barbares ! Y avait-il là une seule circonstance qui ne fût accablante pour lui ? L’imprévu, la Surprise d’un événement gui arrive contre toute attente, contre toute prévision, la gravité d’une telle infortune, la pensée qu’il a été jeté dans ce malheur par des frères et par des frères qu’il chérit, par des frères auxquels il n’a jamais fait une seule injure ni petite ni grande, auxquels il a prodigué au contraire ses bons offices : y a-t-il rien enfin quai ne fût fait pour le jeter hors de lui ? Rien toutefois ne l’a troublé. Cependant il était conduit par les marchands en Égypte, pour y échanger une fois de plus Un joug contre un autre. Car arrivé là, après avoir passé de maître en maître, il fut encore esclave, et il habita avec des barbares, lui fils de la Judée, lui noble, lui deux fois libre, libre de corps et libre d’âme. Malgré ces malheurs il ne se scandalisait pas quand le souvenir des songes qui lui avaient promis un tout autre sort lui revenait à la mémoire. Il ne se demandait pas même : pourquoi