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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/160

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l’œil à un autre qui nous l’aurait arraché, pourrait-il nous commander de nous l’arracher à nous-mêmes ? Que si quelqu’un blâme l’ancienne loi, de ce qu’elle commande ainsi d’exiger « œil pour œil, et dent pour dent ; » il ne comprend guère, ni la sagesse que doit avoir un législateur, ni les différentes conjonctures des temps, ni l’avantage que les hommes ont de cette divine condescendance. Car si vous considérez quel était ce peuple, dans quelle disposition il était, et en quel temps il a reçu cette loi, vous reconnaîtrez aisément que Dieu est le seul et le même auteur de l’un et de l’autre Testament, qu’il a établi très-utilement ces lois différentes, et qu’il les a proportionnées aux personnes et aux temps. S’il avait tout d’abord imposé aux hommes la loi évangélique qui est si sublime, les hommes n’auraient reçu ni l’ancienne ni la nouvelle : mais les publiant en divers temps, et chacune en celui qui lui était propre, il s’est servi très utilement de l’une et de l’autre, pour renouveler la face de toute la terre.
Au reste s’il a donné ce commandement ce n’était pas pour porter les hommes à s’arracher les yeux les uns aux autres, c’était au contraire pour les empêcher de se porter à des violences. Car la menace de cette peine était un frein pour la colère. Il commençait ainsi à établir insensiblement la vertu dans le monde, en voulant qu’on se contentât d’une vengeance pareille au mal qu’on avait reçu, bien que cependant celui qui commence l’injure mérite une peine plus grave, et que la peine du talion ne semble pas assez rigoureuse au jugement d’une exacte justice. C’est parce qu’il voulait tempérer la justice par la miséricorde, qu’il n’infligeait au coupable qu’un châtiment au-dessous de son crime : c’était aussi pour nous enseigner à montrer beaucoup de patience dans les maux que nous souffrons.
Après avoir rapporté l’ancienne loi tout au long, il montre que ce n’est pas proprement votre frère qui vous offense, mais le démon par votre frère. C’est pourquoi il ajoute : « Et moi je vous dis de ne point résister au méchant (39). » Il ne dit pas de ne point résister à votre frère, mais « au méchant », montrant que c’est le démon qui lui inspire cette violence, et diminuant ainsi beaucoup notre colère contre celui qui nous aurait offensé, en rejetant toute sa faute sur un autre.
Quoi donc ! me direz-vous, ne faut-il point résister au méchant ? Il faut lui résister, mais non de la manière que vous pensez, mais de celle que Jésus-Christ nous commande : c’est-à-dire en voulant bien souffrir tout le mal qu’il nous veut faire. C’est ainsi que vous le surmonterez. Ce n’est pas avec le feu qu’on éteint le feu, mais seulement avec l’eau. Et pour vous faire voir que dans l’ancienne loi même, celui qui souffrait l’injure avait l’avantage et qu’il remportait la couronne, considérez la chose en elle-même, et vous jugerez combien la patience de cet homme s’élevait an-dessus de l’autre. Car celui qui a commencé l’outrage est lui seul cause de la perte des deux yeux, c’est-à-dire, de celui de son frère et du sien propre, ce qui doit l’exposer justement à la haine et à l’exécration du monde. Celui au contraire qui a souffert la violence, lors même qu’il en tire une vengeance proportionnée à l’injure qu’on lui a faite, ne passera point pour cruel, ni pour avoir fait aucun mal. C’est pourquoi il trouve beaucoup d’hommes pour compatir à sa douleur parce qu’il est innocent, même après s’être vengé de la sorte. Le mal est égal pour tous deux ; mais la gloire n’est pas égale ni devant Dieu ni devant les hommes ; ce qui fait une grande inégalité dans l’égalité du mal qu’ils souffrent.
2. Jésus-Christ s’était contenté de dire d’abord : « Celui qui se met en colère sans sujet contre son frère ; et qui l’appelle fou, méritera d être condamné au feu de l’enfer ; » mais il exige ici de nous une plus grande vertu, ordonnant à celui qui a été outragé, non seulement de conserver la paix et la douceur, mais de témoigner même du respect à celui qui le frappe et de lui présenter l’autre joue. Il nous prescrit cette loi de patience, non seulement dans l’offense particulière qu’il nous marque, mais généralement dans toutes sortes d’injures. De même, en effet, qu’en disant : « Celui qui appelle son frère, fou, mérite d’être condamné au feu de l’enfer », il ne restreint pas cette vérité à cette injure particulière, mais qu’il l’étend à toutes les autres ; de même lorsqu’il nous commande de souffrir généreusement un soufflet, il nous ordonne en même temps de ne nous point troubler dans tous les autres outrages qu’on nous pourrait faire. C’est pourquoi il choisit cette injure comme la plus offensante, et il marque particulièrement l’outrage d’un soufflet, parce que c’est le dernier mépris qu’on puisse témoigner à un homme.