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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/239

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plus avantageux d’annoncer le royaume de « Dieu », et de retirer les autres de la mort, que de rendre à un mort un service qui ne peut lui servir de rien, surtout lorsqu’il y en a d’autres qui peuvent lui rendre ce dernier devoir ?
4. Ce que nous devons donc apprendre de cette conduite du Sauveur, c’est qu’il ne faut jamais perdre le moindre temps en ce qui regarde notre salut ; qu’il faut préférer à toutes les affaires de ce monde, quelque nécessaires qu’elles puissent être, les occupations chrétiennes et spirituelles ; et qu’il faut bien comprendre ce que c’est dans la vérité que la vie et ce que c’est que la mort. Car plusieurs paraissent vivre qui sont morts en effet, parce qu’ils vivent mal, ou plutôt dont l’état est bien pire que celui des morts. « Celui qui est mort », dit saint Paul, « est délivré du péché. » (Rom. 6,7) Et l’autre au contraire, celui qui est mort spirituellement, est encore l’esclave du péché.
Ne me dites donc point : Mais on ne lui a pas fermé les yeux ; il n’est pas étendu dans le sépulcre ; il n’est pas enveloppé dans un, linceul ; il n’est point mangé des vers. Je vous dis qu’il est mort et pire que les morts. Les vers ne mangent point son corps, mais son âme est déchirée par ses passions comme par autant de bêtes cruelles. Il a les yeux encore ouverts ; mais il vaudrait mille fois mieux que la mort les lui eût fermés. Les yeux d’un homme-mort ne voient plus rien ; mais celui-ci voit tous les jours mille choses criminelles, et ses regards sont autant de flèches qui lui percent le cœur. Un mort est couché dans son sépulcre, sans vie et sans mouvement ; mais celui-ci est enseveli dans ses vices, et il est lui-même son tombeau vivant.
Quelqu’un me dira peut-être : Mais nous ne voyons pas néanmoins que le corps de cet homme soit corrompu comme celui d’un mort. Il est vrai ; mais c’est en cela qu’il est plus malheureux. Car son corps est sain et son âme est déjà pourrie et d’une pourriture pire que celle des corps. Ceux-ci sentent mauvais durant quelques jours, mais l’âme et la bouche de cet homme exhalent durant toute sa vie, par des paroles licencieuses, une odeur plus insupportable que celle de la fange et de la boue. Il y a encore une grande différence entre ces deux morts : l’un, celui qui ne meurt que par le corps, n’éprouve que la corruption que lui impose la loi de la nature ; l’autre, qui n’est pas exempt de cette corruption-là y ajoute encore la pourriture volontaire de ses iniquités et de ses désordres, inventant chaque jour de nouveaux éléments de décomposition. Mais, dites-vous, ce mort dont vous parlez, je le vois sur un cheval magnifique ! Et qu’est-ce que cela fait ? Cet autre n’est-il pas aussi sur un lit superbe ? Mais voici qui est plus fâcheux : celui-ci, du moins, s’il se décompose et sent mauvais, personne ne le voit, un voile recouvre même la bière où il est enfermé ; tandis que celui-là, fétide, déjà, quoique encore en vie, promène de tous côtés sa puanteur, et, comme un sépulcre toujours ouvert, porte son âme morte dans un corps vivant. Que si vous aviez des yeux pour voir l’état d’une âme plongée dans les délices et dans le péché, vous comprendriez sang peine qu’il vaut mieux sans comparaison être lié dans un drap mortuaire, que d’être garrotté avec les chaînes de ses passions, et avoir une grande pierre qui nous couvre, que d’être accablé du poids de ses crimes.
Il est donc bien juste que ceux qui sont liés de parenté avec ces sortes de morts, pleurent sur eux, puisqu’ils ne pleurent pas sur eux-mêmes. Il convient d’implorer pour eux le Sauveur comme Magdeleine le pria pour, Lazare. (Jn. 11) Quand ce mort exhalerait déjà une extrême puanteur, quand il serait en terre depuis quatre jours, ne perdez point courage ; allez, et levez d’abord cette pierre qui le couvre. Vous le verrez alors étendu dans le sépulcre, vous le verrez enveloppé d’un linceul et de bandelettes.
Mais, pour rendre plus clair ce que nous disons, prenons pour exemple quelques-uns des grands de ce monde. Ne craignez point, je ne nommerai personne, et quand je nominerais quelqu’un, il n’y aurait rien à craindre. Car – qui pourrait craindre un homme mort ? Quoi qu’il fasse, il est toujours mort ; et ainsi il ne peut faire aucun mal à ceux qui vivent. Je dis donc qu’il m’est aisé de vous faire voir, en vous dépeignant tel qu’il est, l’un de ces grands du monde, qui est véritablement mort. Premièrement sa tête est couverte d’un suaire. Puisqu’il est toujours dans l’ivresse, n’est-il pas vrai que les vapeurs du vin sont comme des enveloppes et des bandelettes qui tiennent sa tête et sa raison liée, et lui interdisent l’usage de, l’esprit et même des sens ?