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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/278

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donner entrée non à leur table, mais dans leur cœur. C’est ce que nous vous demandons, mes frères. Nous ne désirons de vous que cette charité qui a de l’ardeur, et cette amitié sincère et véritable. Que si vous refusez de nous aimer, au moins aimez-vous vous-mêmes, en renonçant à cette tiédeur malheureuse dont vous êtes possédés. Il nous suffira pour nous consoler de voir que vous devenez meilleurs, et que vous avancez dans la voie de Dieu. C’est en cela même que mon affection paraîtra plus grande, si, lorsque j’en ai beaucoup pour vous, vous en avez peu pour moi.
Car il y a bien des liens qui nous unissent ensemble, et qui nous obligent de nous entr’aimer. Un même père nous a engendrés ; une même mère nous a enfantés avec les mêmes douleurs : nous mangeons à la même table, et non seulement nous recevons un même breuvage, mais nous buvons même à la même coupe. C’est un artifice de la sagesse et de la bonté de notre Père qui est dans le ciel, d’avoir voulu que nous bussions ainsi du même calice, ce qui est le fait de la plus parfaite charité.
Vous me direz peut-être que je suis bien éloigné du mérite et de la dignité des apôtres : je le reconnais de tout mon cœur, et je ne le désavouerai jamais. Bien loin de m’égaler à eux, je confesse que je ne suis pas digne d’être comparé, je ne dis pas avec eux, mais avec leur ombre. Si vous faites néanmoins ce que vous devez, non seulement mes défauts ne vous nuiront point, mais ils vous pourront même beaucoup servir. Car vous serez d’autant plus récompensés de Dieu, que vous témoignerez plus d’affection et d’obéissance envers des ministres qui par eux-mêmes en auraient été indignes.
Nous ne vous parlons point ici de nous-mêmes, et nous ne vous disons point nos propres pensées. Nous n’avons point de maître sur la terre, selon la parole de Jésus-Christ, nous n’en avons qu’un qui est dans le ciel. Nous vous donnons ce que nous avons reçu, et en vous le donnant nous ne vous redemandons autre chose que votre amour. Que si nous en sommes indignes, aimez-nous néanmoins, et peut-être que votre charité nous en rendra dignes. Ce n’est pas trop pour vous que d’aimer ceux qui ne méritent pas d’être aimés, puisque Jésus-Christ vous commande d’aimer même vos ennemis. Qui pourrait donc après un commandement si doux avoir l’âme si barbare et si inhumaine que de haïr celui qui l’aime, quand d’ailleurs il serait engagé dans mille vices ?
Une même table, une même viande nous unit tous, qu’un même amour divin et spirituel unisse nos cœurs. Si les voleurs les plus cruels épargnent ceux avec qui ils ont bu et mangé, et oublient à leur égard cette inhumanité qui leur est si naturelle, quelle excuse nous restera-t-il, si après avoir mangé ensemble la même chair du Sauveur, nous avons moins de tendresse et moins d’amitié que des voleurs ? Les païens autrefois se sont entr’aimés, non pour n’avoir eu qu’une même maison et une même table, mais seulement pour avoir été citoyens d’une même ville ; que pourrons-nous donc attendre de Dieu ? Nous nous trouvons divisés les uns des autres, nous qu’il a unis par tant de nœuds et par des chaînes si sacrées ; nous qui demeurons dans la même ville et dans la même maison ; nous qui marchons dans la même voie ; qui entrons par la même porte ; qui sommeS les rejetons d’une même tige ; qui sommes les membres d’une même tête et d’un même chef, et enfin nous qui n’avons tous qu’une même vie, un même créateur, un même père, un même pasteur, un même roi, un même maître et un même juge.
Vous voudriez peut-être que nous fissions des miracles tomme les apôtres en ont fait. Vous voudriez voir les lépreux guéris, les démons chassés et les morts ressuscités ; mais c’est – là la plus grande preuve de votre foi et de votre amour pour Dieu, de croire fermement en lui sans tous ses miracles. C’est pour cela même que Dieu a fait cesser les miracles, quoiqu’il y en ait encore d’autres raisons. Car si lors même que Dieu a retiré ces dons qui ont plus d’éclat, ceux qui excellent en d’autres, comme dans celui de la science et de la vertu, s’enorgueillissent aisément, et par le désir d’une vaine estime se séparent d’avec leurs frères ; s’ils avaient le don des miracles, combien tomberaient-ils encore plus aisément dans le même orgueil, et dans les schismes qui en peuvent naître ? Ce que je vous dis n’est point seulement une vaine conjecture, mais nous en voyons une preuve dans ce que saint Paul dit des Corinthiens, parmi lesquels il se forma beaucoup de divisions, parce qu’ils aimaient fort les dons extérieurs, et entr’autres celui des miracles.