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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/415

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Elle ne demande point cette grâce comme en étant digne : elle ne l’exige point comme une dette : elle demande seulement miséricorde. « Ayez pitié de moi ! » Elle représente humblement sa misère, et Jésus-Christ « ne lui répond pas même une parole ! » Pour moi je ne doute point que plusieurs de ceux qui étaient présents alors, ne fussent scandalisés, mais cette femme ne se scandalisa point. Mais que dis-je, que plusieurs de ceux qui étaient présents s’en scandalisèrent, puisque les apôtres mêmes furent touchés de l’état de cette femme, et troublés et attristés ? Cependant ils n’osent prier pour elle, ni dire : Accordez-lui la grâce qu’elle demande, mais « ils s’approchent du Sauveur, et lui disent « Contentez-la afin qu’elle s’en aille, parce qu’elle crie après nous. » Nous agissons souvent de la sorte. Lorsque nous désirons porter quelqu’un à une chose, nous lui disons le contraire de ce que nous avons dans l’esprit.

2. « Jésus-Christ leur répondit : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui étaient perdues (24). » Que fait cette femme en entendant cette parole ? Demeure-t-elle dans le silence ? Cesse-t-elle de prier et se refroidit-elle dans son désir ? Ne redouble-t-elle pas au, contraire ses cris et ses prières ? Ce n’est pas ainsi que nous agissons nous autres. Quand Dieu diffère de nous donner ce que nous lui demandons, nous nous rebutons aussitôt au lieu de le prier avec encore plus d’instance. Mais qui n’aurait été abattu de cette réponse de Jésus-Christ ? Si son seul silence pouvait faire perdre à cette femme l’espérance d’être exaucée, combien plus le devait faire cette réponse ? Ne devait-elle pas encore désespérer de la guérison de sa fille, en voyant, que ceux même qui priaient pour elle éprouvaient un refus ; et que Jésus-Christ dit clairement que c’est une grâce qu’il ne lui pouvait accorder ?

Cependant elle ne perd point courage. Voyant que les apôtres n’avaient rien gagné auprès du Sauveur pour elle, elle use alors d’une sainte impudence. Elle n’avait osé d’abord se présenter en face devant Jésus-Christ. Elle s’était contentée « de crier » seulement « derrière lui. » Mais lorsqu’il semblait qu’elle n’avait plus qu’à s’en aller et que la guérison de sa fille était entièrement désespérée, elle s’approche plus près du Sauveur, elle l’adore et le prie de l’assister.

« Mais elle, s’approchant, l’adora en lui disant : Seigneur, assistez-moi (25). » Ô femme ! que faites-vous ? Avez-vous plus d’accès auprès du Sauveur que ses apôtres mêmes ? Espérez-vous d’être plus puissante qu’eux ? Nullement, nous répond-elle. Je reconnais que je n’ai ni accès ni pouvoir auprès de Jésus : je n’ai qu’une grande hardiesse et une grande impudence, et c’est cette impudence même qui me tient lieu de prière. J’espère que mon impudence lui donnera de la pudeur à lui-même, et que cette liberté avec laquelle je le prie lui ôtera la liberté de me refuser.

Mais ne venez-vous pas de lui entendre dire à lui-même : « Qu’il n’était envoyé que pour les brebis de la maison d’Israël qui étaient perdues ? » Oui, je sais qu’il l’a dit, mais je sais aussi qu’il est le Maître souverain de toutes choses, C’est pourquoi elle ne dit point à Jésus-Christ : Priez ou invoquez un autre pour moi, mais : « assistez-moi vous-même » Que fera donc enfin Jésus-Christ dans cette rencontre ? Il ne se rend pas encore : il ne se contente pas de cette foi, et il semble ne parler que pour rebuter encore davantage cette femme.

« Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens (26). » Il l’avait d’abord rebutée par son silence, mais lorsqu’il lui parle, ce n’est que pour la rebuter encore plus par ses paroles qu’il n’avait fait par son silence. Il ne s’excuse plus par d’autres raisons, il ne dit plus : « qu’il n’est envoyé que pour les brebis de la maison d’Israël. » Plus cette femme fait d’instances pour le prier, plus il est fermé à la refuser. Il n’appelle plus les Juifs des « brebis », mais des « enfants », et il appelle au contraire celle qui le prie « un chien. »

Que fait cette femme admirable ? Elle trouve dans les paroles mêmes du Sauveur, de quoi le forcer à lui faire miséricorde. Si je suis une, « chienne », dit-elle, je suis donc aussi du logis, et je ne suis point étrangère. Jésus-Christ, mes frères, avait bien raison de dire, qu’il était venu en ce monde pour y faire un discernement. Cette femme étrangère témoigne une vertu, une patience, et une foi incomparable, au milieu des injures dont on l’outrage ; et les Juifs, après avoir eu tant de grâces du Sauveur, n’ont pour lui que de l’ingratitude. Je sais, dit-elle, Seigneur, que le pain est nécessaire aux enfants ; mais puisque vous dites que je suis « une chienne », vous ne me défendez