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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/420

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nos parents et nos proches. Que l’homme apprenne avant toutes choses à être charitable, puisque c’est la charité qui le rend proprement homme. C’est une grande chose, mes frères, que d’être homme, Mais un homme charitable est une chose bien plus précieuse. Celui qui n’a pais cette charité cesse d’être homme, puisque c’est elle, comme j’ai dit, qui fait qu’il est homme. Et vous étonnez-vous que ce soit le propre de l’homme d’être charitable, puisque c’est le propre de Dieu même ? « Soyez miséricordieux », dit-il, « comme votre Père céleste est miséricordieux. » (Lc. 6,36)
Apprenons donc à devenir charitables, non seulement pour les raisons que nous avons dites et pour l’utilité des autres, mais, encore pour notre avantage particulier, puisque nous avons aussi besoin nous autres d’une grande miséricorde. Tenons pour perdu tout le temps, que nous né consacrons point à la pratique de la charité. Mais j’appelle ici charité celle qui est exempte de toute avarice. Car si celui qui se contente de posséder paisiblement ce qu’il a sans en faire part aux autres, est bien éloigné d’être charitable, que sera-ce de celui qui ravit le bien de ses frères, quand il ferait des aumônes infinies ? Si c’est être cruel et inhumain que de jouir seul de ses richesses, que sera-ce de voler le bien des autres ? Si ceux qui ne font aucune injustice sont punis parce qu’ils n’ont pas fait l’aumône, que deviendront ceux qui font tant d’actions injustes ?
Ne me dites donc point qu’à la vérité vous avez volé cet homme, mais que c’était pour en faire l’aumône à un autre. C’est un crime qu’on ne peut souffrir. Ne fallait-il pas rendre cet argent à celui-là même à qui vous l’aviez ôté ?
Vous avez fait une plaie à un homme et vous voulez guérir un autre que vous n’avez pas blessé. C’était à ce premier que vous deviez appliquer vos remèdes, ou plutôt que vous deviez ne point faire de plaie. Ce n’est pas être miséricordieux que de frapper les autres et de les guérir ensuite il faut que nous guérissions ceux que nous n’avons pas blessés. Portez donc les premiers remèdes aux maux que vous avez faits vous-mêmes, et vous penserez ensuite au reste. Qu plutôt, comme je vous l’ai déjà dit, ne faites tort à personne, et ne faites point de plaie que vous soyez obligé de refermer. Ce serait se jouer de Dieu que d’ôter le bien d’autrui pour lui rendre ensuite ce qu’on lui avait ôté.
Il est impossible aussi qu’un avare répare le mal qu’il a fait par son avarice, lorsqu’il ne rend qu’autant qu’il a pris. Il ne suffit pas, pour une obole qu’il a volée de donner une, obole aux pauvres. Il faut qu’il rende un talent pour se laver de son crime devant Dieu. Lorsqu’un voleur est surpris il est obligé de rendre quatre fois plus qu’il n’a volé. Ceux qui, par des voies injustes ravissent le bien des autres, sont pires que des voleurs déclarés. Si donc ces derniers doivent restituer quatre fois au tant, n’est-il pas visible que ceux qui ravissent le bien d’autrui doivent rendre dix fois davantage ?
Et Dieu veuille encore qu’en restituant de cette manière, leurs injustices et leurs rapines soient effacées aux yeux de Dieu ! car pour espérer d’être récompensés, comme s’ils avaient fait de grandes aumônes, c’est ce que je ne crois pas qu’ils doivent prétendre. C’est pourquoi Zachée disait : « Si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple, et je donne la moitié de mon bien aux pauvres. » (Lc. 19,8) Si la loi obligeait de rendre quatre fois autant, à combien plus nous obligera le temps de la grâce du Sauveur ? Et si un voleur était obligé à cette rigueur, celui qui ravit le bien d’autrui est obligé à une sévérité bien plus grande. Car outre le tort qu’il fait à son frère, il témoigne encore avoir pour lui un si grand mépris que quand il lui rendrait le centuple de ce qu’il lui a ôté, à peine pourrait-il satisfaire.
Vous voyez donc que j’ai eu raison de dire que si vous avez volé un sou, vous aurez peine à réparer cette offense en rendant même un talent. Que si en restituant de la sorte, tout ce que vous pouvez faire c’est d’éviter de vous perdre pour jamais, que pouvez-vous prétendre si vous renversez cet ordre, et si, ravissant des successions tout entières, vous vous contentez de rendre de légères sommes, et non pas même à ceux à qui vous avez fait tort, mais à d’autres au lieu d’eux ? Quelle espérance peut-il vous rester, et quel salut devez-vous attendre ? Voulez-vous savoir le mal que vous faites par cette fausse miséricorde ? Écoutez l’Écriture qui vous l’apprend : « Celui », dit-elle, « qui offre à Dieu un sacrifice du bien des pauvres ressemble à celui qui égorge le fils devant son père. » (Sir. 34,22)
Ne sortons donc de ce saint lieu, mes frères, qu’après avoir gravé cette parole de l’Écriture