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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/481

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pas. D’où le savez-vous ? L’avez-vous essayé souvent ? Oui, dites-vous : je l’ai fait une ou deux fois. Quoi, vous appelez cela souvent ? Quand vous n’auriez point eu d’autre application que celle-là durant toute votre vie, voue ne devriez pas vous rebuter. Ne voyez-vous pas combien de fois Dieu nous avertit lui-même par ses prophètes, par ses apôtres et par ses Évangélistes ? Cependant, croyez-vous que nous ayons bien reçu tous ces avis, et que nous les ayons suivis comme nous devions ? Dieu, a-t-il cessé pour cela de nous avertir ? Est-il demeuré dans le silence ? Ne nous dit-il pas encore tous les jours : « Vous ne pouvez servir tout ensemble. Dieu et l’argent » ? (Mt. 6,24) Cependant l’avarice règne partout, et croît tous les jours. Dieu ne nous crie-t-il pas tous les jours : « Remettez et on vous remettra (Lc. 7,40) » ? et nous devenons tous les jours plus inhumains envers nos frères. Dieu ne nous exhorte-t-il pas sans cesse à la chasteté et à la continence ? et néanmoins, combien en voit-on qui se plongent comme des pourceaux dans les infamies les plus détestables ? Cependant, Dieu ne cesse point de nous instruire et de nous reprendre, quoique nous soyons si intraitables et indociles.
Que ne nous réglons-nous sur ce modèle, et que ne nous disons-nous à nous-mêmes : Hélas ! Dieu nous parle continuellement. Il ne se lasse point de nous exhorter. Il ne se rebute jamais, quoique nous fassions un si mauvais usage de ses avis. Que ne l’imitons-nous donc en nous conduisant envers nos frères comme il se conduit envers nous ? C’est cette dureté que nous témoignons pour eux, qui a fait dire à Jésus-Christ : « Qu’il y en aura peu de sauvés ». Car, s’il ne nous suffit pas pour être sauvés d’avoir de la vertu, et s’il faut encore que nous brûlions de zèle pour l’avancement des autres, que devons-nous attendre un jour, nous qui ne pensons ni à notre propre salut, ni à celui de nos frères ? Quelle espérance nous peut-il rester ?
Mais pourquoi me plaindre ici de l’indifférence que vous témoignez pour le salut de tous les hommes, puisque vous êtes si insensibles à celui des personnes mêmes avec qui vous vivez, à celui de votre femme, de vos enfants et de vos domestiques ? Nous quittons ces soins de charité pour nous embarrasser en d’autres pleins de vanité et d’inquiétude. Nous nous occupons de pensées extravagantes et chimériques ; comme ceux dont le vin a étouffé la raison. Interrogez-vous vous-mêmes, et vous verrez que vous pensez ou à multiplier le nombre de vos valets, ou à mieux régler le service qu’ils vous rendent, ou à acquérir plus de bien à vos enfants, ou à rechercher des habillements plus magnifiques pour votre femme. Ainsi, ce n’est pas d’eux proprement que vous avez soin, mais de ce qui les environne. Vous ne vous mettez pas en peine que votre femme ait de la piété, mais qu’elle ait de quoi se parer, ni que vos enfants soient bien élevés, mais qu’ils soient bien riches.
Vous ressemblez à quelqu’un qui, voyant une maison parfaitement bien ornée, mais dont les murailles tomberaient en ruine, ne penserait point à les relever, mais seulement à y faire des embellissements au-dehors : ou à un malade qui ayant le corps abattu de langueur, au lieu de penser à se guérir, ne serait occupé que du soin de se faire faire des habits superbes : ou à une femme qui, se voyant près de la mort, ne penserait point à s’en retirer, mais seulement à avoir des servantes bien parées et de beaux ameublements. C’est ainsi que nous nous conduisons à l’égard de notre âme. Nous ne sommes point touchés de ses misères et de ses langueurs. Nous la voyons sans douleur en proie à la colère, aux emportements, aux passions furieuses, à la médisance, à la vaine gloire, aux révoltes intérieures, enfin à une infinité de bêtes cruelles qui la dévorent. Nous souffrons sans peine qu’elle soit tyrannisée par tant d’ennemis, pendant que nous ne pensons qu’à avoir de belles maisons, et un grand nombre de gens qui nous servent.
S’il arrivait qu’un ours ou qu’un lion rompît ses chaînes et sortît du lieu où on le garde, nous fermerions aussitôt toutes nos maisons pour n’être point exposés à la rage de ces bêtes. Et maintenant lorsque nos passions et nos pensées criminelles, comme autant de bêtes farouches, déchirent cruellement notre âme, nous, nous laissons dévorer non seulement sans nous plaindre, mais avec joie. Toutes ces bêtes qui peuvent tuer les hommes sont enfermées avec grand soin, ou dans les déserts, ou dans la ville, en des lieux très sûrs, de peur qu’en s’échappant, elles ne fassent du désordre jusque dans les tribunaux des juges et dans les palais des rois : et nous souffrons que tant de bêtes cruelles renversent tout dans notre âme, où Dieu même rend ses jugements et ses