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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/502

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cette vérité. Y eut-il jamais une malignité pareille à celle de Saül ; ou une plus grande simplicité que celle de David ? Cependant qui des deux fut le plus puissant ? David eut entre ses mains la vie de Saül par deux différentes fois, et il le laissa aller. Il le tenait comme dans une prison dans cette grotte, où il s’était mis entre ses mains sans y penser. Ses gens le pressaient de tuer le prince, qui l’avait traité de la manière du monde la plus injuste, et néanmoins il lui pardonna. Cependant Saül persécutait David avec une armée, et David avec une petite troupe de gens fuyait devant lui, errant par les déserts les plus reculés, et se cachant tantôt dans un lieu et tantôt dans un autre ; et néanmoins ce fugitif si abandonné l’emporta sur un roi si puissant, parce qu’il avait de son côté l’innocence et la justice, et que l’autre n’était animé que de fureur et d’envie.
Car ne fallait-il pas que Saül fût tout ensemble le plus injuste et le plus insensé de tous les hommes, de persécuter avec cette barbarie un homme si rare qui commandait sous lui ses armées, qui battait toujours ses ennemis, et qui, après avoir gagné des batailles, lui donnait tout l’honneur de la victoire ; ne se réservant que les périls et la gloire de le servir ? Mais c’est là proprement l’esprit de l’envie. Celui qui en est possédé devient l’ennemi de lui-même : Il se tend des pièges, il se ronge les entrailles, il s’enveloppe dans une infinité de malheurs. Tant que David demeura auprès de Saül ; ce misérable prince ne se vit jamais réduit à faire cette plainte qu’il a faite depuis : « Je suis percé de douleur ; je suis accablé d’ennuis. Les étrangers s’élèvent contre moi de tous côtés, et le Seigneur m’abandonne ». (2Sa. 28,15) Tant que David demeura auprès de lui, il fut craint dans la guerre et il fut, heureux, parce que la valeur du général de ses armées était la gloire de ses armes et de sa personne.
5. Car David n’eut jamais la moindre pensée d’usurper sa couronne, et de se mettre en sa place. Au contraire, il s’exposait pour lui dans toutes les occasions, comme un serviteur très affectionné et très-fidèle. Et il est aisé de juger de la disposition où il était alors par ce que nous voyons qu’il fit depuis. Car tant qu’il demeura dans les troupes de Saül, on peut dire qu’il ne lui était pas possible de rien faire contre lui. Mais après que Saül l’eut chassé de ses États, qui l’eût empêché, s’il avait eu de mauvais desseins, de soulever le peuple contre lui, et de lui faire la guerre ? D’où vient qu’il ne pensa pas alors à se défaire d’un ennemi qui l’avait voulu perdre tant de fois, à qui il n’avait jamais donné le moindre sujet de se plaindre de lui, et qu’il avait toujours servi avec une fidélité inviolable ? Il était très-persuadé que tant que Saül vivrait, il ne serait jamais en repos ni en sûreté ; qu’il serait toujours obligé d’être errant et vagabond et de craindre toujours pour sauver sa vie. Cependant toutes ces considérations ne peuvent le faire résoudre à tremper ses mains dans le sang de Saül. Lorsqu’il le voit seul, qu’il est maître de sa vie, qu’il le trouve assoupi avec tous ses gens d’un profond sommeil, que tous les siens l’exhortent à se venger, et qu’ils tâchent de lui persuader que Dieu lui a présenté cette occasion pour se défaire de son ennemi mortel, il les repousse ; il les réprimande, il les menace, et il sauve la vie à celui qui la lui voulait ôter. Il accuse même les officiers du roi d’avoir eu si peu de soin de veiller auprès de leur maître, comme s’il fût venu pour le garder et non pas pour le combattre.
Y eut-il jamais rien d’égal à cette générosité et à cette douceur de David ? Mais si elle parait grande lorsqu’on la considère en elle-même, elle le paraîtra encore davantage si on la compare avec ce que nous voyons aujourd’hui. Car la vertu des saints paraît encore plus illustre et plus éclatante, lorsque nous la comparons avec l’obscurité et le dérèglement de notre vie. Je vous conjure donc, mes frères, d’imiter un si grand saint. Si vous êtes passionné pour la gloire, et que ce désir vous porte à chercher des moyens de vous venger de votre ennemi, ne voyez-vous pas qu’en vous mettant au-dessus de la vengeance, vous acquerrez beaucoup plus de gloire ? Car, comme la passion des richesses nous empêche souvent de nous enrichir, ainsi le désir d’être honoré est souvent un obstacle pour acquérir de l’honneur. Et je vous supplie, mes frères, de considérer avec moi en particulier, combien ce que je vous dis est véritable.
Car, comme toutes les considérations des biens du ciel et des supplices de l’enfer vous sont indifférentes et vous touchent peu, il faut que anus tâchions de vous exciter au moins par des considérations plus humaines et plus sensibles. Si vous jugez équitablement des