Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/554

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où il habite, puisqu’on n’y fait que passer d’un lieu en un autre ? N’est-il pas vrai, au contraire, que si quelqu’un voulait faire ainsi la guerre, on le regarderait comme un lâche, et qu’on le tuerait comme un traître ? Quel est le soldat qui, étant dans le camp, pense à acquérir de grandes terres, mi à faire quelque trafic pour amasser de l’argent ? Car il n’y est pas pour s’enrichir, mais pour combattre. Faisons de même, mes frères. Nous sommes soldats, et la terre est notre camp. Ne pensons point à trafiquer en un lieu que nous quitterons dans un moment. Quand nous serons arrivés en notre patrie céleste, nous nous enrichirons assez. Je vous dis donc à vous tous qui aimez à acquérir du bien : Attendez alors à devenir riches. Mais je me trompe : lorsque vous y serez arrivés, vous n’aurez pas besoin de travailler pour cela. Votre roi y prépare lui-même une abondance infinie de biens, dont il comblera tous vos désirs.
Vivons donc, mes frères, comme dans un lieu et un temps de guerre. Nous n’avons besoin que de tentes ou de huttes, nous n’avons point besoin de maisons. N’avez-vous point entendu dire quelquefois que les Scythes vivent dans des chariots sans avoir aucune demeure arrêtée ? C’est ainsi, mes frères, que doivent vivre les chrétiens. Ils doivent parcourir toute la terre en combattant contre le démon, en retirant de sa tyrannie les captifs qu’il entraîne, et en méprisant généreusement ce qui ne regarde que la vie présente. Pourquoi donc, ô chrétien, vous bâtissez-vous avec tant de soin des maisons et des palais pour y demeurer ? Est-ce afin de vous lier à la terre par des chaînes plus pesantes ? Pourquoi cachez-vous votre argent dans la terre ? Est-ce afin d’inviter votre ennemi à venir prendre son avantage pour vous combattre ? Pourquoi élevez-vous des murailles si solides ? Est-ce pour vous bâtir une prison ?
Si vous croyez qu’il vous soit pénible de vous passer de toutes ces choses, allez au désert de ces solitaires ; voyez leurs cabanes, et reconnaissez enfin combien il est facile de ne rien rechercher de tout ce que vous vous croyez si nécessaire. Ils ne demeurent que sous de petites tentes qu’ils quittent avec autant de facilité lorsqu’il le faut, qu’un soldat quitte sa hutte pour aller goûter la paix dans les villes. Je trouve infiniment plus de plaisir à voir un vaste désert rempli de petites cellules où demeurent ces saints solitaires, que de voir une armée campée dans un champ, les tentes dressées, les pointes des piques élevées en haut, les drapeaux suspendus aux lances et agités de l’air ; l’éclat des boucliers qui, frappés du soleil, jettent des flammes et, des rayons de toutes parts ; cette multitude effroyable de têtes d’airain et d’hommes de fer, la tente du général, comme un palais fait en un moment, toute environnée de gardes et d’officiers ; et cette confusion d’hommes mêlés ensemble, dont les uns sont sous les armes, les autres courent ou repassent çà et, là au bruit des trompettes et des tambours.
Ce spectacle frappe les yeux et étonne agréablement, et néanmoins il n’a rien de comparable à celui que je vous propose. Car si nous allons dans ces déserts, et si nous y considérons les tentes de ces soldats de Jésus-Christs nous n’y trouverons ni lances, ni épées, ni aucune arme ; ni ces draps d’or dont on pare les tentes des empereurs et des généraux d’armées ; mais nous serons surpris, comme si, passant dans un pays sans comparaison plus beau et plus heureux que celui-ci, nous voyions paraître tout d’un coup un ciel nouveau sur une nouvelle terre. Car les cellules de ces saints qui y sont ne cèdent pas au ciel même, puisque les anges y viennent, et le Roi des anges. Car si ces bienheureux esprits se sont tant plu autrefois avec le saint patriarche Abraham, quoiqu’il fût engagé dans le mariage, ayant sa femme et ses enfants, parce qu’il aimait à recevoir les étrangers ; combien se plairont-ils davantage, et aimeront-ils plus ardemment à ne faire qu’un même cœur avec des hommes qui sont dans une vertu et une condition beaucoup plus pure, qui sont dégagés entièrement de leurs corps, et qui, dans la chair même, se sont élevés au-dessus de la chair ?
Leur table a banni pour jamais toutes sortes de voluptés et de luxe. Elle est toujours pure et sobre, et toujours digne d’un chrétien. On ne voit point là, comme dans nos villes, des ruisseaux de sang des bêtes égorgées, et des animaux coupés en cent parties. On n’y voit point ni ce feu, ni ces fumées, ni ces odeurs insupportables, ni ce bruit et ce tumulte, ni tous ces raffinements pour satisfaire le goût, suites de l’art et de l’empressement des cuisiniers. On voit pour tous mets sur leur table du pain et de l’eau. Ils ont l’une d’une fontaine voisine, et gagnent l’autre par leurs justes