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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/562

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autres guerres de ce monde. Lorsqu’un soldat a tué l’un de ses ennemis dans le combat, il est mort pour les autres comme pour lui, et il ne fera jamais de mal à personne. Mais dans cette guerre spirituelle, si l’intempérance est morte pour celui qui l’a bien combattue, elle est vivante pour les autres, et celui qui ne la combattra pas sans cesse lui-même en sera vaincu.
4. Qui n’admirera cette manière si extraordinaire de combattre, où chaque soldat remporte lui seul une victoire que toutes les armées du monde jointes ensemble ne pourraient gagner, et où l’on voit renversés par terre et percés de mille coups tons ces monstres que produit l’intempérance, c’est-à-dire l’emportement des paroles, le gonflement de l’orgueil, et tant d’autres maladies cachées qui nous réduisent dans un état déplorable. Car tous ces généreux soldats imitent admirablement Jésus-Christ, leur chef, dont il est dit « Il boira de l’eau du torrent dans la voie, et à cause de cela il élèvera sa tête dans la gloire ». (Ps. 109,8)
Voulez-vous voir combien ces soldats de Jésus-Christ terrassent d’ennemis ? Examinons toutes les passions que le luxe, les délicatesses des tables et des viandes préparées avec tant de soin produisent d’ordinaire dans le monde. Je rougis de parler de ces sortes de choses en ce lieu ; mais j’y suis contraint. Car, qui ignore jusqu’à quel point on porte la somptuosité des tables ; et combien l’art des cuisiniers est ingénieux pour trouver tous les raffinements qui peuvent exciter le goût et l’intempérance des hommes ? C’est une grande étude en ce temps que d’apprendre à bien ordonner un festin. Il semble qu’il s’agisse du gouvernement de toute une république ou de ranger une armée en bataille, tant on a de soin de régler quel service doit être le premier ou le second, ou le troisième. C’est une grande affaire que de savoir quand on doit servir chaque chose. On a disputé fort sur ce sujet. Les uns soutiennent qu’on doit servir, dès l’entrée, des oiseaux rôtis sur les charbons, et farcis de poissons ; d’autres, autre chose. On fait des leçons importantes de la qualité, de l’ordre et du nombre des plats de chaque service ; et ce qui est encore plus insupportable, on se pique de bien savoir ces choses, et nous faisons notre gloire de ce qui nous devrait faire rougir.
Que dirai-je de la longueur de nos repas ? Les uns se vantent d’avoir fait durer le dîner une grande partie du jour, les autres d’y avoir consumé une soirée, et les autres d’y avoir passé toute la nuit. Hélas ! ne considère-t-on jamais combien il faut peu de chose pour satisfaire la nécessité, et ne rougit-on point de ces excès ?
On ne voit rien de pareil parmi ces anges de la terre. Toutes ces sortes de plaisirs leur sont en horreur et en oubli. Ils se mettent à table, non pour satisfaire la sensualité, ni pour se remplir de viandes, mais pour soutenir le corps et la vie. On ne voit point parmi eux de gens qui aillent à la chasse ou à la pêche. Le pain et l’eau font tous leurs repas. Tous ces autres soins et toutes ces vaines inquiétudes sont pour jamais bannis de chez eux. Leurs cabanes pauvres, et leurs corps négligés et mortifiés, les entretiennent dans une paix profonde : tandis qu’au contraire, les gens du monde sont dans une tempête continuelle. Si nos yeux étaient assez pénétrants, ou que nous le pussions sans horreur, que ne verrions-nous point dans les entrailles de ces personnes voluptueuses ? Combien d’humeurs et de causes de maladies, quel amas de pourriture ! quel sépulcre blanchi ! Je rougis de dire les suites honteuses de ces débauches, les indigestions, et toutes les incommodités d’un corps accablé de viandes.
Mais si vous allez parmi ces solitaires, vous verrez ce monstre de l’intempérance et de l’impureté renversé par terre. Ils ont étouffé en eux cette passion infâme, qui est encore plus criminelle que l’autre. Ils l’ont vaincue et désarmée ; car ses armes sont les paroles déshonnêtes. Les solitaires n’ouvrent la bouche que pour louer Dieu. Comme leur langue est pure, leur corps est pur. Ils n’ont pas seulement vaincu cette double intempérance, mais encore l’envie, le désir de l’honneur, l’amour de l’argent, et toutes les autres passions de l’âme. Comparez maintenant votre table avec celle de ces solitaires. Je suis assuré que les plus abandonnés à leurs passions ne sauraient être assez aveugles pour oser le faire.
La table des uns conduit au ciel : celle des autres mène dans l’enfer. Jésus-Christ préside à l’une, et l’esprit impur est maître de l’autre. Le luxe et la volupté empoisonnent l’une ; la vertu et la tempérance règnent dans l’autre. Enfin, Dieu est présent à l’une, et le