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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/575

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est le plus grand de tous. On n’entend point dire là Ceci est à moi, cela est à vous. Ces paroles qui sont la source des divisions et des guerres, sont éternellement bannies de ces lieux. Et on ne doit pas s’étonner qu’ils n’aient tous qu’un même habit, qu’une même table et qu’une même nourriture, puisqu’ils n’ont tous ensemble qu’une même âme, non parce qu’elle est d’une même substance, ce qui est commun à tous les hommes, mais à cause de leur charité qui, les unissant tous, ne fait d’eux tous qu’un cœur et qu’une âme. Et comment une seule âme pourrait-elle s’élever contre elle-même ?
On ne voit donc point là, comme parmi nous, ces différences de pauvres et de riches ; ni ce discernement de personnes qu’on honore, et d’autres que l’on méprise. Cette parfaite égalité ne laisse parmi eux aucune entrée à la vaine gloire. Si l’un y est grand et l’autre petit, ce n’est qu’en vertu, et l’on n’a même aucun égard à ces différences. Celui qui est inférieur aux autres, ne se plaint point d’être méprisé, parce qu’il n’y a personne qui le méprise, et s’il s’en trouvait quelqu’un il en aurait de la joie, parce qu’ils aiment à souffrir les mépris et les injures. C’est à quoi ils s’appliquent sans cesse à s’anéantir et à s’humilier, non seulement dans leurs paroles, mais encore plus dans leurs actions.
Ils aiment à manger avec les pauvres et les personnes les plus méprisables. Leur table est tous les jours environnée de ces sortes d’hôtes, et c’est ce qui les rend dignes du ciel. L’un y panse les plaies des blessés, l’autre sert de guide à un aveugle, l’autre porte celui qui a la jambe rompue. Il n’y a point là de flatteurs.
On n’y sait pas même ce que c’est que de flatter ; et comme tout est égal entre eux, il ne s’y peut mêler aucune envie. Ainsi, ceux qui entrent parmi ces saints, y apprennent aisément la vertu, et à devenir humbles à leur exemple sans qu’on les contraigne à s’humilier devant les autres. Car comme on arrête plus aisément l’audace d’un homme superbe en lui cédant qu’en lui résistant, et que la modération d’un autre est une grande instruction pour lui, ainsi rien n’est plus propre pour guérir dans une âme la plaie de la vaine gloire, que de voir des personnes qui n’ont pour elle que de l’aversion et du mépris. C’est ce qui se pratique admirablement dans ces lieux. On voit autant d’ardeur pour fuir ou pour quitter les premières places et ces rangs d’honneur, que nous en voyons ailleurs pour y arriver. On y aime, non à se faire honorer, mais à honorer les autres.
Les ouvrages mêmes des solitaires et les occupations où ils s’emploient, les portent encore à l’humilité et étouffent en eux tous les mouvements de la vaine gloire. Car, qui peut devenir superbe en bêchant la terre, en arrosant des herbes, en faisant des paniers d’osier, et d’autres choses semblables ? Comment pourraient-ils s’élever dans leur cœur, en souffrant comme ils font la pauvreté, la faim, la soif, et toutes les autres nécessités de la vie ? Ainsi, l’humilité, comme je viens de le dire, est parmi eux une vertu bien aisée. Il est très-difficile de ne devenir pas superbe parmi les louanges et les applaudissements des hommes ; il est facile au contraire de devenir humble parmi des choses si basses, et dans le fond d’un désert. C’est là qu’on traite avec Dieu seul à seul. On n’a pour compagnie que soi-même. On n’y voit qu’un oiseau qui vole ; qu’un arbre qui est agité des vents ; qu’un ruisseau qui coule le long d’une vallée. Par où donc l’orgueil attaquerait-il un homme dans une si profonde solitude ?
Ce n’est pas néanmoins que nous soyons excusables au milieu des villes de nous laisser aller à cette passion. Abraham vivait au milieu des chananéens et ne laissait pas de dire à Dieu : « Je ne suis que terre et que cendre ». (Gen. 17,29) David était dans la cour et dans les armées, et cependant il disait : « Pour moi, je suis un vermisseau et non un homme ». (Ps. 21,6) Saint Paul vivait au milieu des hommes, et cependant il était assez humble pour dire : « Je ne suis pas digne d’être « appelé apôtre ». (1Cor. 15,9) Après tant d’exemples, mes frères, comment serions-nous excusables d’être encore si superbes et si vains ? N’est-il pas vrai que si ces hommes admirables doivent être comblés de gloire parce qu’ils ont donné les premiers l’exemple d’une si haute vertu, et que nous serons, nous, exposés aux plus grands supplices pour ne l’avoir pas suivi, pour lire leurs actions sans les imiter, pour admirer leur humilité, sans devenir humbles ?
Que nous restera-t-il pour excuser une si grande dureté ? Direz-vous que vous ne pouvez lire l’Écriture pour y apprendre quelle a été la vertu de ces saints hommes ? C’est déjà