Page:John Stuart Mill - De l’assujettissement des Femmes.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vérité est que, dès qu’on est dans une position à attendre d’une personne de la déférence, on est très mal placé pour trouver en elle une sincérité et une franchise complètes. La crainte de baisser dans l’opinion ou l’affection de la personne que l’on regarde avec respect est si forte, que même avec un caractère très droit on se laisse aller, sans s’en apercevoir, à ne lui montrer que le plus beau côté, ou sinon le plus beau, le plus agréable à ses yeux : on peut dire avec assurance que deux personnes ne peuvent avoir l’une de l’autre une connaissance complète qu’à la condition d’être non seulement intimes, mais égales. À plus forte raison, est-il impossible d’arriver à connaître une femme soumise à l’autorité conjugale, à qui l’on a enseigné que son devoir consiste à subordonner tout au bien-être et au plaisir de son mari, à ne lui laisser voir ni sentir chez elle rien que d’agréable. Toutes ces difficultés empêchent qu’un homme acquière une connaissance complète de l’unique femme qu’il ait le plus souvent l’occasion d’étudier sérieusement. Si, de plus, nous considérons que comprendre une femme, ce n’est pas nécessairement en comprendre une autre ; que, pussions-nous étudier les femmes d’un certain rang et d’un certain pays, nous ne comprendrions pas pour cela les femmes d’un autre rang et d’un autre pays ; que, parvinssions-nous à remplir cette tâche,