Page:John Stuart Mill - De l’assujettissement des Femmes.djvu/79

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rappelle les louanges que d’après Gulliver le souverain de Lilliput donnait à sa clémence royale en tête de ses plus sanguinaires décrets. Si les femmes valent mieux que les hommes en quelque chose, c’est assurément par leur abnégation personnelle en faveur des membres de leur famille, mais je n’insiste pas sur ce point, parce qu’on leur enseigne qu’elles sont nées et créées pour faire abnégation de leur personne. Je crois que l’égalité ôterait à cette abnégation ce qu’elle a d’exagéré dans l’idéal qu’on se fait aujourd’hui du caractère des femmes, et que la meilleure ne serait pas plus portée à se sacrifier que l’homme le meilleur ; mais d’autre part les hommes seraient moins égoïstes et plus disposés au sacrifice de leur personne qu’aujourd’hui, parce qu’on ne leur apprendrait plus à adorer leur propre volonté, et à y voir une chose tellement admirable qu’elle doive être la loi d’un autre être raisonnable. L’homme n’apprend rien si facilement qu’à s’adorer lui-même ; les hommes et les classes privilégiées ont toujours été ainsi. Plus on descend dans l’échelle de l’humanité, plus ce culte est fervent ; il l’est surtout chez ceux qui ne s’élèvent, et ne peuvent s’élever qu’au-dessus d’une malheureuse femme et de quelques enfants. C’est de toutes les infirmités humaines celle qui offre le moins d’exceptions ; la philosophie et la religion, au lieu de la