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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lui laisse de repos ni jour ni nuit. » « Son cœur saignera tant que ce manteau d’infamie couvrira ses épaules. » Il ne veut pas « que ses enfants aient jamais à baisser la tête ». La pitié physique pour sa misère, pour son martyre, pour tout son être effondré sous les coups, il la repousse. « Son âme indomptée qui le relève », chaque fois qu’il tombe, n’aspire qu’à la vérité, la claire vérité, à la justice. « S’il ne s’agissait que de souffrir, ce ne serait rien. » « Cuirassons nos cœurs, surmontons nos souffrances, pour ne voir que le but suprême ; tout doit s’effacer devant le devoir. » « Roidissons-nous, puisons dans nos consciences les forces nécessaires pour vaincre. » « Faiblir serait un crime impardonnable. » C’est de la tombe qu’il appelle. Jamais on n’accepte la honte, quand on ne l’a pas méritée. « Il est innocent du crime hideux qui lui a été imputé, de tout crime, de toute faute » ; sous l’uniforme, sous les supplices, sa loyauté a toujours été absolue ; il faut que cette loyauté soit reconnue, proclamée. « Vivre pour vivre, c’est simplement bas et lâche ; sans honneur, un homme est indigne de vivre. » C’est pourquoi il ne meurt pas, qu’il reste debout, — pour ravoir l’honneur qui lui a été injustement ravi, celui de ses enfants. Et s’il meurt, il faut encore que l’honneur lui soit rendu, à son cadavre, « car la mission qu’il a léguée aux siens, d’arriver à la vérité, est supérieure à lui-même[1] ».

Ainsi, à travers des centaines de pages, se déroule cette même clameur continue, déchirante, inlassable, vers la justice. Et c’est toujours les mêmes mots, le même cri, parce que dans cette pauvre tête, prématurément blanchie, il n’y a qu’une pensée.

  1. Lettres d’un innocent, 14, 15, 28 mars, 27 avril, 12, 27 mai, 26 juin, 15, 27 juillet, 2, 22 août 1895, etc…