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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Tout en poursuivant ses études de chimie dans le laboratoire de Wurtz, après une forte préparation classique au lycée de Strasbourg[1], il s’était mêlé au mouvement des jeunes républicains contre l’Empire et paya sa propagande de trois mois de prison[2]. Résolu, parfois audacieux, Scheurer allait droit son chemin, mais fuyait la réclame et le bruit, d’un beau courage et d’une gaîté qui ne se démentirent jamais. Il avait, comme son beau-frère Charras[3], prévu la guerre ; à l’heure des désastres, il quitta ses usines de Thann et s’offrit à Gambetta, qui lui confia la direction de l’établissement pyrotechnique de Cette. Les électeurs du Haut-Rhin, puis ceux de la Seine, l’envoyèrent à l’Assemblée Nationale ; il fut ensuite nommé sénateur inamovible[4]. Aucun républicain ne fut plus constamment ferme et sage. Les savants prisaient son

    vie et les travaux d’Auguste Scheurer-Kestner. — Né à Mulhouse, le 11 février 1833.

  1. Il écrivait à Lauth : « Sans l’étude du latin et du grec, je n’aurais pas développé mes facultés intellectuelles. »
  2. Il faisait entrer en France des brochures de propagande interdites. Le 21 mars 1862, le tribunal correctionnel le condamna à trois mois de prison et 3.000 francs d’amende « pour manœuvres à l’intérieur et excitation à la haine et au mépris du gouvernement ». Il avait été défendu par Jules Grévy. Il fit à Sainte-Pélagie la connaissance de Blanqui et écrivit une étude chimique sur la Théorie des types.
  3. Scheurer avait épousé, en 1856, l’une des filles du grand industriel Kestner, qui était le petit-fils de Jean-Chrétien Kestner, le mari de la « Charlotte » de Goethe. (Voir Goethe et Werther, lettres inédites de Goethe, publiées par Auguste Kestner, Stuttgard, 1855 ; Paris, même année, trad. Poley.) Les autres filles de Charles Kestner épousèrent Victor Chaufour, Charles Risler, le colonel Charras et Floquet.
  4. Scheurer-Kestner remplaça Gambetta, en 1881, à la direction de la République française. Il avait été l’un des fondateurs du journal. Quand j’en devins le directeur, en 1886, il continua à fréquenter les bureaux du journal où de nombreux républicains avaient coutume de se réunir.