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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


contra le capitaine Picard, cet ancien camarade de Dreyfus à l’École de guerre, que la note d’un général antisémite avait empêché d’entrer à l’État-Major[1]. Freystætter, très simplement, raconta ce qui s’était passé dans la chambre du conseil. Picard s’étonna un peu du procédé. Freystætter exposa qu’il eût été impossible de faire connaître les pièces à l’accusé sans risquer de graves complications. Picard relata l’incident à l’un de ses parents, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur d’un rare mérite[2], qui doutait de la culpabilité de Dreyfus et qui n’objecta rien.

Le commandant Florentin fit le même récit au capitaine Potier[3], qui le répéta à un avoué juif. Cet homme de loi ne s’étonna pas davantage.

Au ministère, vingt officiers (Picquart, Du Paty, Fabre, Bertin, d’Aboville, Boucher) connaissaient la communication secrète, la trouvaient de bonne guerre, en causaient entre eux ou avec des amis.

On a vu que Freycinet, Scheurer, Berthelot, étaient informés, eux aussi, et n’avaient pas protesté. Législateurs, ils ne connaissaient pas la loi ; savants, philosophes, fils de la Révolution et de l’Encyclopédie, ils ne connaissaient pas mieux l’un des principes essentiels du droit naturel[4].

Cependant le nouveau ministre de la Justice n’avait pas été sans inquiétude. Trarieux ne se demandait pas si Dreyfus avait été légalement condamné, mais s’il

  1. Voir t. I, 120.
  2. Léon Lévy, ingénieur en chef des Mines.
  3. Du 2e régiment d’infanterie de marine.
  4. Arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1835 : « Attendu que la communication des pièces est de droit naturel. » — L’un des premiers décrets de l’Assemblée Constituante ordonne la communication, la remise en copie de toutes les pièces réunies contre l’accusé. (Décret du 3 novembre 1789, articles 12 et 13.)