Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


condamné sur des pièces secrètes, et, d’autre part, qu’il existait une pièce où figurait l’initiale de son nom ; mais eussent-ils trouvé un journal pour révéler l’existence de l’étrange document et « cette violation la plus flagrante des lois de la défense[1] », que leur allégation eût été traitée d’imposture : Gibert eût été écrasé sous le démenti de Faure ; et Hanotaux, les juges, la veille encore si bavards, se seraient réfugiés dans le silence. Bien plus, dans l’universelle certitude que Dreyfus était le plus hideux des traîtres, la forfaiture fût apparue, sauf à quelques rares légistes, comme un vice de forme sans autre importance, où, dans la patrie des Droits de l’homme, il ne valait pas la peine de s’arrêter[2]. Mercier eût pu s’en targuer sans crainte, — s’il n’avait pas su que le Juif était innocent.

XI

Les droits que la loi commune assure à tous les citoyens avaient été refusés à Dreyfus ; ils le furent également à sa femme.

  1. Cass., III, 39, Ballot-Beaupré.
  2. C’est ce que Trarieux lui-même, de conscience si droite, si profondément loyal, légiste consommé, dira, en 1897, à Scheurer : « Quel que soit le rôle que ces pièces secrètes aient joué dans le procès, si cependant elles apportaient la certitude que Dreyfus est un traître, serait-il possible de nous attarder aux questions de forme ? En aurions-nous le courage ? Moi, je ne l’aurais pas. Si cet homme était un traître, la forme eût-elle été violée pour lui, je n’oserais élever la voix et je ne le ferais pas. » (Procès Zola, I, 180, Trarieux.) — Aucun Anglais, dans aucune circonstance, n’eût tenu un tel langage ; c’est un des bienfaits dont la France est redevable à l’affaire Dreyfus qu’aucun Français n’osera plus raisonner ainsi.