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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de ce terme même, le plus formel dans toutes les langues. Déjà, la loi de 1872 édicte « le droit pour les familles des déportés de se rendre dans les lieux de déportation[1] ». La loi de 1873 est plus explicite encore : « On ne saurait apporter trop de précision, écrivait le rapporteur, dans une question qui touche à des intérêts moraux aussi élevés. L’article 7 divise les familles en trois catégories. La première comprend celles qui auront des ressources suffisantes pour payer elles-mêmes les frais de leur transport. Pour celles-là, le droit est absolu[2]. »

Ces déportés, c’étaient les condamnés politiques de la Commune, mais aussi les incendiaires, les assassins des otages. Jules Favre eût voulu une récompense pour la femme qui ira partager le bagne de son mari, « rompant les liens de la parenté, abandonnant son pays, se dévouant à celui qui a encouru la réprobation sociale[3] ».

L’idée de refuser un tel droit aux femmes des déportés, de subordonner l’exercice de ce pieux devoir au bon plaisir de l’Administration, eût été repoussée avec dégoût par l’Assemblée de Versailles.

La demande de Mme Dreyfus causa une vive irritation aux collaborateurs de Mercier ; accueillie, elle ren-

  1. Article 6 de la loi du 23 mars 1872.
  2. Rapport à l’Assemblée Nationale, annexe n° 1363, séance du 28 juillet 1872. — Quand je rappelai les termes de ce rapport, dans le Siècle du 20 mars 1898, le comte d’Haussonville, interrogé par un rédacteur du Temps, répondit : « J’ai lu l’article du Siècle, et il est, en ce qui concerne mon rapport, parfaitement exact ; je n’ai donc rien à ajouter. » De même, Thézard, sénateur, professeur à la Faculté de droit de Poitiers : « Mme Dreyfus paraît solliciter comme une faveur d’aller retrouver son mari ; en réalité, elle doit réclamer l’exercice d’un droit absolu. Les textes sont formels. »
  3. Discours du 25 mars 1873.