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LE PETIT BLEU


sommaire des paquets[1]. Ou il n’aperçut pas les cinquante tout petits fragments mêlés à plusieurs centaines de débris, — ou, s’il les aperçut, il les négligea à cause même de leur couleur[2]. En effet, Schwarzkoppen recevait beaucoup de petits bleus qu’il déchirait, invitations banales de Panizzardi ou de tel autre à déjeuner ou à dîner, et d’autres missives encore, moins banales, mais qu’Henry connaissait bien, d’une écriture féminine. « Encore des lettres de cette femme ! » disait-il à Picquart[3].

Or, le petit bleu que Lauth a reconstitué est précisément de l’écriture, renversée, un peu déguisée, de cette femme. Elle venait voir Schwarzkoppen, assez souvent, à l’ambassade, et n’eût pas été femme si elle ne s’était pas informée de ses affaires, qui passaient pour mystérieuses, et n’avait trouvé plaisir à lui recopier des documents, à écrire des lettres sous sa dictée. Schwarzkoppen, vers cette époque, avait, de nouveau, cassé Esterhazy

  1. Enq. Pellieux, 28 nov. 1897, Henry : « En ce qui concerne la carte, je n’ai jamais remarqué aucun des fragments qui la composent dans les paquets qui m’ont été remis. » — Cass., I, 110, Roget : « Henry, que j’ai interrogé souvent après le procès Zola, bien que ce fût une nature grossière et passionnée, n’a jamais voulu affirmer que le petit bleu ne fût pas dans le paquet, de peur d’erreur possible ; mais ce qu’il a affirmé toujours avec la plus grande netteté, c’est qu’il n’y a pas vu et qu’il n’a jamais vu de fragments de petit bleu. »
  2. Rennes, I, 425, Picquart : « Si Henry a ouvert le paquet où se trouvait le petit bleu, il a dû croire, ne l’ayant pas reconstitué, que ce devait être un petit bleu connu. »
  3. Roget dira à Rennes (I, 278) qu’il a « eu entre les mains une correspondance tout à fait intime de Schwarzkoppen, compromettante pour l’honneur d’une tierce personne », c’est-à-dire « des lettres de cette femme ». D’autre part, comme l’amie de Schwarzkoppen avait déguisé son écriture dans le petit bleu, Gonse en profita pour déposer que « l’écriture de la carte-télégramme était inconnue » (I, 553), ce qui fut répété par Lauth (I, 619). De même Roget : « C’est le seul document de ce genre qui nous soit venu dans un espace de huit ans » ; il ajoute toutefois : « Par malheur, depuis son faux, Henry est un petit peu suspect » (I, 296).