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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


gine n’avaient fait doute pour Lauth, Junck et Gribelin. Dès qu’il fut informé de la fâcheuse trouvaille, il commença à inquiéter ses camarades par des bouts de phrases, vagues, perfides, et qu’il reprendra, sitôt lâchées, selon le procédé classique des imposteurs. « Cela ne me plaît pas », murmure Iago. Et ces cinq petits mots suffisent à empoisonner l’âme du Maure.

Il a dit, d’abord, à Lauth, qu’il n’a pas remarqué les fragments bleus dans le cornet. Il sent maintenant que Lauth s’irrite, et Junck, de recommencer si souvent leurs expériences photographiques sans réussir à satisfaire le chef. « Pourquoi tous ces essais ? grogne-t-il ; pourquoi ces retouches[1] ? » Le vétéran du bureau, nourri dans le sérail, proteste qu’on n’a jamais travaillé de la sorte. Cela est curieux, étrange. Cet intrus, qui bouleverse les vieilles routines, qui décore du nom d’ordre son omnipotence présomptueuse, que veut-il ? que cherche-t-il avec cette nouvelle affaire ? Il ne daigne pas consulter la vieille expérience de Gribelin ; quoi d’étonnant, puisqu’il ne communique même pas à Henry les rapports de Desvernine ! Cependant, cette sorte d’enquête entre dans les attributions d’Henry[2]. Et tous de clabauder, car tous sont jaloux, envieux, blessés dans leur amour-propre, regrettent le bon temps de Sandherr, leurs privilèges, l’indépendance d’autrefois.

Un jour où, comme tous les autres jours, ils sortaient

  1. Aff. Picquart, 275, Picquart : « Henry poussait à la roue dans les conciliabules qu’il avait journellement avec Lauth, Gribelin et Junck au sujet du petit bleu qui le gênait fort, à cause d’Esterhazy. »
  2. Enq. Pellieux, 28 nov., Lauth : « Il faisait les enquêtes avec deux agents, que lui seul voyait, dont il recevait les rapports, qui, je crois, n’étaient même pas communiqués à Henry, dans les attributions duquel ces enquêtes rentraient. »