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LE PETIT BLEU

Sur ces entrefaites, un incident décisif acheva de l’éclairer.

Au cours du voyage d’État-Major qu’il fit en juillet avec Boisdeffre, Pauffin de Saint-Morel, officier d’ordonnance du général, lui dit, un soir[1], qu’il avait négligé de lui communiquer une lettre très intéressante du colonel de Foucault, attaché militaire à Berlin[2].

Foucault, dans cette lettre adressée à Boisdeffre, racontait avoir reçu la visite de Richard Cuers[3]. Dénoncé (sans doute) par Lajoux, Cuers avait été révoqué par le major Dame, le directeur du service allemand des Renseignements ; il craignait de pires infortunes. Il avait une grande frayeur, disait-il, du service français de statistique qui possédait des pièces compromettantes pour lui ; il tremblait qu’on s’en servît pour le faire « chanter » ; divulguées, elles suffiraient à le perdre. Il suppliait qu’on n’en fit rien. Il avait le vif désir de causer avec un envoyé de l’État-Major[4].

Picquart connaissait les efforts de Sandherr pour s’assurer le concours de Cuers ; il avait lui-même chassé Lajoux devenu suspect, et, précisément, à la suite d’une entrevue avec Cuers que l’agent s’était fait fort d’acheter pour une mensualité de 600 marks ; on avait, alors, acquis la preuve que Lajoux entretenait lui-même des relations avec les Allemands[5]. Dès lors, que Lajoux

  1. Aux Laumes, commune de la Côte-d’Or, canton de Venarey.
  2. Instr. Tavernier, 23 sept. 1898 ; Cass., I, 150, Picquart.
  3. Voir t. I, 23.
  4. Cass., I, 150 ; II, 87 ; etc., Picquart.
  5. Rapport au ministre sur l’affaire Lajoux, du 27 décembre 1895. (Rennes, II, 27.) Lajoux, de 1890 à 1895, avait touché 45.896 francs. Il prétendit, par la suite, qu’il avait été calomnié par Henry pour lui avoir rapporté, en 1895, une conversation avec